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de l’État. D’un caractère naturellement timide et réservé et d’une apparence extrêmement juvénile, il continua, même après être sorti de l’adolescence, à être traité par ses parents en petit garçon. Une fut jamais véritablement le « Tsaréwitch, » (l’héritier du trône). Jusqu’à la mort de son père, pour toute la famille, pour tout son entourage, il ne fut que « Nicky, » un charmant et doux jeune homme, épris de sport et de littérature (il avait une mémoire extraordinaire pour les vers), mais tout à fait étranger à la vie politique de son pays.

La seule occasion que l’héritier du trône eut de jouer un certain rôle, fut le voyage qu’il fit en Extrême-Orient. Ce voyage, s’il avait été autrement organisé, aurait pu contribuer à développer l’intelligence naturelle de Nicolas II et à lui faire acquérir quelques-unes des notions qui lui manquaient. Par malheur, au lieu de le faire accompagner par des hommes ayant l’expérience et les connaissances spéciales voulues, on plaça à la tête de sa suite, composée de jeunes et brillants officiers aux Gardes, un courtisan, le général Bariatinski, fort aimable et galant homme, mais totalement dénué des qualités et de l’instruction nécessaires pour diriger un pareil voyage. La cour de Londres, mieux avisée, adjoignit à l’héritier du trône russe, pendant la durée de son séjour aux Indes, un homme particulièrement compétent. Sir Donald Mackenzie Wallace ; il fut extrêmement apprécié par le Tsaréwitch, qui ne demandait qu’à s’instruire et à se rendre un compte exact de tout ce qui s’offrait de nouveau à sa jeune expérience.

On sait que Nicolas II, poursuivi pendant toute sa tragique existence par une espèce de fatalité, fut, pendant son séjour au Japon, victime d’un attentat de la part d’un Japonais fanatique qui lui porta un coup de sabre à la tête ; ce coup, amorti par la canne de son cousin, le prince Georges de Grèce, qui, se trouvant tout près du Tsaréwitch, s’élança à son secours, causa une blessure assez profonde, mais sans gravité réelle. On a prétendu que cette lésion eut pour conséquence d’affaiblir, par la suite, les facultés intellectuelles de Nicolas II. Cette assertion est absolument fausse. Détail curieux : je tiens de l’Empereur lui-même qu’après cet accident il se trouva débarrassé pour toujours de fréquents maux de tête auxquels il était sujet depuis son enfance. Mais, si l’attentat de Kioto ne laissa pas de traces matérielles, je crois qu’il eut certains effets moraux : il inspira