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longtemps juré la perte, l’imbécillité de la France enfin qui se laissait conduire aux abimes par une bande de politiciens et s’épuisait au profit de son ennemie héréditaire, sans comprendre que le but de celle-ci était tout simplement la possession de Calais et la main-mise sur la côte de Flandre. Mais de la conjuration perpétrée contre elle, l’Allemagne serait inévitablement victorieuse. Aucune armée n’était capable de résistera la sienne. Elle seule comprenait la beauté et la sainteté de la guerre, et son militarisme n’était que la manifestation la plus grandiose de la sublimité de sa Kultur.

J’écoutais ces discours avec une attention si soutenue que nous arrivâmes à Cologne sans que je m’en fusse aperçu. Le docteur Clausen courut s’informer du but de notre voyage. Il revint bientôt en me félicitant. J’allais être interné au camp d’officiers de Crefeld, « le meilleur camp de toute l’Allemagne. » Nous arrivâmes malheureusement trop tard à destination pour qu’il me fût donné de jouir tout de suite des délices de ce séjour. Il fallut passer la nuit à l’hôtel, où, par prudence, le docteur Clausen coucha dans la même chambre que moi. Le lendemain matin, il faisait livraison de son prisonnier au commandant du camp.


II

Je passai à Crefeld deux mois à peu près, en compagnie d’environ 800 officiers anglais, belges, français et russes. L’accueil qu’ils firent à ce « civil » tombant au milieu d’eux restera un des plus touchants souvenirs de mon existence. J’ai noué là les liens de bien des amitiés, et il m’a été donné d’y connaître des types vraiment admirables des plus hautes vertus militaires qui, chez beaucoup de ces messieurs, s’alliaient à la culture intellectuelle la plus étendue. Sortant de la lourde « atmosphère d’occupation » qui pesait sur la Belgique, je me sentais, dans la caserne où nous étions confinés, plus libre que je ne l’avais encore été depuis l’entrée des troupes allemandes à Gand. La contrainte d’une prison, toute physique et matérielle, est facile à porter. Combien était plus pénible la contrainte morale sous laquelle je vivais depuis un an et demi, A Gand, tout choquait, tout blessait l’âme dans ce qu’elle a de plus sensible. La vue des soldats ennemis dans la rue, les drapeaux