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La haute stature et la remarquable beauté de la plupart des membres de la famille impériale russe furent un apport de la femme de Paul Ier, une princesse de Wurtemberg-Montbéliard (Paul Ier lui-même était d’une laideur si prononcée que, lors de son arrivée à Paris en 1782, sous le nom de comte du Nord, le public français ne pouvait s’empêcher d’en faire tout haut la remarque sur son passage). Ces traits distinctifs atteignirent leur perfection dans la personne de l’empereur Nicolas Ier qui, dans sa jeunesse, ressemblait, au dire d’un contemporain, à un « héros grec, » et se maintinrent à travers trois générations : le père de Nicolas II, l’empereur Alexandre III, n’était pas beau de visage, mais avait une taille imposante et une force physique extraordinaire. Lorsque l’empereur Nicolas II monta sur le trône, il donne l’impression d’être d’une autre race que ses prédécesseurs. D’un extérieur, au premier coup d’œil, insignifiant, il n’avait aucun des dons physiques qui font impression sur la foule ; il fallait l’approcher pour s’apercevoir que, s’il n’était pas grand, il était bien pris dans sa taille, souple dans ses mouvements et plus robuste qu’il ne le paraissait à première vue.

Les personnes les moins bien disposées pour Nicolas II n’ont jamais contesté le charme de son visage, la douceur d’expression de ses yeux qu’on a comparés à des yeux de gazelle et l’absolue simplicité de son maintien. Pour moi, j’en ai subi toute la séduction, et jamais d’une manière plus intense que lorsqu’il m’est arrivé de le voir en présence de l’empereur Guillaume qui formait avec lui, par sa bruyante exubérance et son abord théâtral, un contraste complet. Mais l’espèce de grâce câline qui émanait de tout son être ne rayonnait pas au delà du cercle restreint qui l’entourait et ne pouvait pas lui attirer la grosse popularité qui allait au souverain allemand et qu’il n’a d’ailleurs jamais recherchée.

L’empereur Nicolas II était-il naturellement doué du côté de l’intelligence ? Je n’hésite pas à répondre : oui. Il m’a toujours frappé par la facilité avec laquelle il saisissait chaque nuance d’un argument qu’on développait devant fui et par la clarté qu’il mettait à exprimer ses propres idées ; je l’ai toujours trouvé accessible à un raisonnement ou à une démonstration