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lui sur le terrain politique, je n’ai jamais cessé de lui garder le plus profond et le plus fidèle attachement, et sa fin tragique m’a causé une des émotions les plus douloureuses de ma vie.


L’ÉDUCATION D’UN PRINCE

Il faut, en thèse générale, avoir vécu dans la proximité immédiate d’un souverain et respiré l’odeur d’une cour, pour être à même de juger de certains phénomènes psychologiques qui ont leur source dans un ensemble de conditions très spéciales el qu’on ne trouve réunies nulle part ailleurs. S’il est vrai qu’un souverain ne voit les hommes et les choses qu’à travers une atmosphère factice qui les déforme, d’autre part, il est rare qu’on l’aperçoive lui-même tel qu’il est et non tel que le représente la légende. L’erreur commune aux auteurs de livres tels que ceux auxquels j’ai fait allusion plus haut, est de croire qu’il est possible de se rendre compte d’un caractère aussi compliqué et fuyant que celui de Nicolas II d’après des documents et des récifs de seconde main. En réalité, il est d’autant plus malaisé de se faire de lui une idée juste, qu’il s’est toujours confiné dans un cercle particulièrement restreint et n’a été véritablement connu de près que par un très petit nombre d’intimes.

Ce qui est curieux, c’est que la personne physique elle-même de Nicolas II a prêté à des descriptions inexactes. On a exagéré comme à dessein l’exiguïté de sa taille et son apparence chétive. Il est bien vrai que, lorsqu’il se trouvait au milieu des membres de la nombreuse famille impériale, tous de haute stature, il faisait par sa petite taille un contraste frappant ; il différait aussi complètement de ses oncles et cousins par la coupe de son visage qu’il avait héritée, comme sa taille, de sa mère, princesse danoise. Seul de toute la famille impériale, il n’accusait aucun des traits distinctifs du type si connu des Romanoff [1].

  1. Il est à remarquer que la famille impériale russe actuelle ne descend des Romanoff que par les femmes ; la descendance de Pierre le Grand s’étant éteinte avec l’impératrice Elisabeth, le trône de Russie échut à un duc de Holstein-Gottorp, dont la mère était fille du grand réformateur et qui, sous le nom de Pierre III, devint l’auteur de la lignée impériale russe. S’il est vrai, d’autre part, que la naissance de Paul Ier, successeur de Pierre III, fut irrégulière et que son véritable père était un gentilhomme de la cour du nom de Soltikoff, les membres de cette lignée n’auraient donc pas une goutte de sang des Romanoff dans les veines. Les Mémoires de la grande Catherine, épouse de Pierre III et mère de Paul Ier dont l’authenticité n’est plus mise en doute, semblent confirmer cette version.