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comme dans la pièce. Il y avait là toutes les vedettes de la scène et aussi quelques étoiles qui se levaient : telle Mlle Leconte, alors tout à fait inconnue, et qui devait faire une si jolie carrière. J’entends encore le petit rire de tête de Jules Lemaître. Je revois, debout, au milieu de la salle, silencieux avec ses grands yeux songeurs, Paul Hervieu qui allait faire ses débuts d’auteur dramatique par Les paroles restent. Comme cela est loin ! Combien manquent à l’appel ! Et quelle mélancolie doit éprouver M. Henri Lavedan à repasser la liste de ses invités de ce soir-là !…


La fatalité s’acharne après Œdipe. Dès avant sa naissance, elle L’avait marqué pour le pire destin. Elle a fait de lui le plus malheureux des hommes. Il a tué son père, épousé sa mère, souillé sa ville natale et, par sa seule présence, déchaîné sur elle le fléau de la peste ; il s’est crevé les yeux, il a erré de ville en ville, partout honni et partout repoussé. Et cela a continué après sa mort. Ses fils se sont entrebattus, ses filles se sont querellées, la meilleure d’entre elles a été enterrée vive. Ce n’était pas encore assez. Une dernière humiliation lui était réservée. Un jour devait venir où sa légende servirait de prétexte à des divertissements forains et le récit de ses malheurs serait interrompu par des acrobates jouant à saute-mouton.

C’est un vague poème de M. Saint-Georges de Bouhélier, Œdipe Roi de Thèbes, à prétentions shakspeariennes, qui sert de prétexte à cette exhibition de figurants, de danseurs, de lutteurs, de gymnastes, de saltimbanques et d’athlètes. On fait ce qu’on peut : nos prédécesseurs avaient inventé la tragédie, la tragi-comédie, le drame et le mélodrame ; on nous devra la tragédie avec partie sportive.

Cette représentation d’Œdipe au Cirque n’aura pourtant pas été inutile. Elle est dans la logique de la fameuse mise en scène de M. Gémier. Elle montre où cette mise en scène aboutit et où elle a sa place. Elle n’a rien à faire avec le théâtre proprement dit. Puisque la voilà installée au Cirque, grand bien lui fasse. Qu’elle y reste !


RENE DOUMIC.