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nos contemporains. On parle de mille choses encore, et de la façon même dont on en parle cet hiver.

Les Friolley ont deux filles, dont l’une, Odette, n’est pas mariée et l’autre, Françoise, ne l’est plus. Donc toutes deux partent à la chasse à l’homme. Ainsi le veut le malheur des temps : c’est la force des choses et il n’y a pas à récriminer. Simple affaire de statistique. Déjà, avant la guerre, il y avait plus de femmes que d’hommes et le jeune homme à marier faisait prime sur le marché. Après la terrible hécatombe, les femmes sont en surnombre et la loi de l’offre et de la demande joue impitoyablement. Il faut en prendre son parti, les temps chevaleresques sont passés : on ne recherche plus les jeunes filles en mariage ; c’est à elles maintenant de courir après les jeunes gens et de leur faire la cour. Le premier des sports auxquels doit s’adonner une jeune fille moderne est la chasse au mari. Ce sport a comme les autres ses règles, ses usages et son code de la courtoisie. Odette et Françoise ne sont pas des rivales : ce sont des championnes. Championnes loyales, elles s’avertissent, se tiennent au courant de leurs projets et de leurs progrès ; au besoin même, elles s’entr’aident : l’essentiel est que l’une ou l’autre atteigne le but. Le but s’appelle Philippe Guersant. Avant la guerre, il était avocat ; il a très largement fait son devoir : blessé, croix de guerre, c’est un parti des plus présentables. Odette et Françoise se le disputeront en usant chacune des avantages que leur confère leur situation respective.

Cette chasse à l’homme, en dépit du titre, n’occupe dans la pièce ni trop de place, ni même la première place, réservée, comme il convient dans une maison d’aujourd’hui, aux gens de maison. La scène la plus pittoresque de ce premier acte, et la plus vraiment comique, est celle de l’engagement d’une femme de chambre en l’an de grâce 1919. Les historiens de la« petite histoire » s’y reporteront un jour, comme à un document. Les conditions sont faites par M. Friolley lui-même que la distinction, la réserve et la grâce de Simone ont singulièrement affriolé. Un petit cri de surprise échappé à une visiteuse sur le passage de Simone, un signe de cette Simone réclamant le secret, nous avertissent que ce n’est pas là une femme de chambre ordinaire.

Le second acte se passe le matin du 14 juillet dans un appartement ayant vue sur l’avenue des Champs-Elysées. La maîtresse de maison a loué ses fenêtres au bénéfice d’une Œuvre, tout en réservant quelques places à des amis. Je jurerais que M. Donnay y était, de sa