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Tout doucement, sans fracas, sans insistance, sans avoir l’air d’y toucher, M. Maurice Donnay nous apporte sinon une forme, du moins une nuance de comédie nouvelle et charmante. Nous pouvons d’autant mieux nous en réjouir à la Revue, que nous avons eu la primeur de cette manière fine et légère. Aucun de nos lecteurs n’a oublié ces Conversations pendant la guerre qui reproduisaient si ingénieusement le tour et les sujets de nos conversations quotidiennes. Nous retrouvions, sous la plume de l’écrivain, ce qui se disait un peu partout et que nous avions dit nous-mêmes. C’étaient les Français peints par leurs propos de salon. Image fidèle qui n’était pourtant pas une simple copie. Qu’y avait-il de changé ? Moins que rien. C’étaient les mêmes paroles sur un air à peine transposé. Combien de fois nous est-il arrivé d’entendre un homme d’esprit répéter les propos d’un imbécile ! Il les répète textuellement. Mais l’intonation, le sourire, un je ne sais quoi donne à la phrase banale un accent et un sens, l’accompagne, la commente, la traduit et la trahit pour notre plus grand plaisir. Ainsi en était-il dans ces charmants dialogues, ainsi en est-il encore dans la Chasse à l’homme. Les personnages que M. Donnay met en scène ne sont pas des imbéciles : ce sont de braves gens, des gens de la moyenne, pareils à beaucoup de ceux que nous connaissons. D’un trait léger l’auteur indique, plutôt qu’il ne les souligne, les travers, les manies, les ridicules. Ce sont travers du jour, ridicules de maintenant, manies du temps présent, nées de notre nouvel état social. On a fait jadis des portraits-charges ; M. Donnay fait le portrait-blague. Et la note est si juste, l’observation si exacte et si actuelle, l’air si bien d’aujourd’hui que le public saisit aussitôt l’allusion, et rit de tout son cœur à ce portrait de lui-même tracé par un observateur malicieux et bon enfant.

Nous voici chez les Friolley, bourgeois riches, moins riches qu’avant la guerre, ce qui nous les rend tout de suite sympathiques. Ils sont gênés dans leurs affaires : misère dorée où beaucoup d’entre nous s’accommoderaient très bien de prendre leurs invalides. De quoi parle-t-on chez les Friolley ? Mais bien entendu de la vie chère, comme partout. Comme partout, chacun cite des chiffres : les plus impressionnants sont les meilleurs. On parle de la difficulté de se loger, de s’éclairer, de se chauffer, de se nourrir, de s’habiller et généralement de procéder à tous les rites de l’existence. On parle des modes et de leur excentricité, des jupes courtes et des corsages absents et de cette folie dansante qui s’est emparée d’une partie de