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Elles valent ce que vaut l’homme. Or M. François de Curel a campé son personnage avec sa franchise et sa rudesse coutumières ; il l’a peint-en pleine pâte ; il l’a animé d’une vie puissante. Il a ainsi atteint le but qui est celui de l’auteur dramatique : rien de ce qui touche à Justin Riolle ne nous est indifférent. Nous sommes curieux des rêveries, quelles qu’elles soient, de ce promeneur solitaire. Nous voulons tout connaître de ce cerveau bizarre.

Pour ce qui est du doux Michel Fleutet, il a écouté toutes ces belles choses sans sourciller, en homme qui va s’empresser de les oublier dans les bras de la charmante Rosa. Car l’instant est venu où ce qu’il souhaitait si ardemment va s’accomplir. Mme Riolle est indignée que cela s’accomplisse chez elle. Mais alors Justin Riolle, (décidément il est déchaîné !) lui fait une étrange révélation. Il lui déclare que son indignation n’est que jalousie toute pure : elle est amoureuse de Michel Fleutet ! Tout de suite convaincue, la pauvre femme convient que, tout en continuant d’aimer son mari et souhaitant de lui rester fidèle, si ce Fleutet lui faisait certaines propositions, elle y céderait. Michel Fleutet n’y songe guère et la bonne dame ne court aucun danger ; mais tout de même elle en frémit : tant les aperçus de Justin Riolle sur l’origine des espèces l’ont bouleversée !.. Dirai-je que. tout cela ne me paraît pas très vraisemblable ? Esprit simple, femme de bon sens timoré et de vertu bourgeoise, dévote de province, je croirais plutôt que la cynique éloquence de son mari a dû la scandaliser. Et au degré de misère physiologique où elle est, entre deux crises dont la dernière l’enlèvera, non, je ne crois pas qu’elle soit très portée à ce que nos pères, qui n’avaient pas lu Darwin, appelaient la gaudriole.

Le troisième acte est l’acte du squelette. Nous pénétrons dans l’atelier dont ce vieux camarade fait depuis des années le plus bel ornement. La charitable Mme Riolle voudrait lui ménager une sépulture chrétienne. Elle sollicite le curé de l’accueillir en terre consacrée et de lui faire les honneurs d’une petite cérémonie. Cela soulève quelques difficultés. Ce squelette n’a jamais été un chrétien, n’ayant jamais été même un vivant. C’est une pièce anatomique, ce qui est bien différent. Un habile commerçant a réuni des ossements de provenances diverses, fournis par l’École de médecine, et en a composé un tout artificiel. Nouvelle matière à philosopher pour l’intarissable Justin Riolle. il découvre à ce squelette une valeur de symbole. La diversité des pièces qui le composent symbolise la diversité des instincts que nous appelions avec nous en naissant et qui nous