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moi, tout palpitant de l’amour humain. » Un poète aurait chanté, à la manière de Lucrèce. Justin Riolle ratiocine, à la manière de Darwin. « Ma première idée a été de suivre l’instinct de la reproduction depuis l’époque où il n’était, dans une goutte de protoplasme, qu’une aveugle attraction, voisine de l’affinité chimique, jusqu’au point où, dans nos âmes, il déchaîne les magnifiques orages de la passion. Mais je n’ai pas tardé à m’apercevoir que l’entreprise était au-dessus de mes forces, et je me suis borné à essayer de construire l’amour humain sur la furie sensuelle de nos grands cousins les grands mammifères. » Excusez du peu !

Voici ses conclusions. « L’intelligence, aussitôt qu’elle se manifeste par quelques lueurs dans une espèce animale, devient immédiatement la servante attentive des besoins sexuels... C’est l’intelligence qui dirige les batailles des mâles, règle l’escrime de leurs bois, etc.. Grâce à ces jeux variés, l’intelligence acquiert peu à peu la notion de beauté, si bien qu’il est permis d’affirmer que les sublimes envolées du génie ont pour origine, dans le recul des âges, les ardeurs de l’animal en rut. » Justin Riolle n’est pas un philosophe de salon : !o mot cru ne lui fait pas peur : je le soupçonnerais plutôt de le recherclier. Et il n’a pas peur non plus d’ « affirmer. » Dans sa solitude de penseur à qui nul ne donne la réplique, son moi s’est exalté, sa philosophie lui est montée à !a tête : la fumée de ses idées l’a enivré. Il continue en remarquant que chez les bêtes l’intelligence va toujours dans le sens de la sélection naturelle ; chez les gens, il en est autrement. L’avantage n’est d’ailleurs pas uniquement du côté des bêtes. Il y a une sélection suivant l’ordre de l’intelligence et du sentiment, etc., etc.

Que valent ces théories en elles-mêmes ? Elles ne sont pas neuves et n’ont jamais été que des hypothèses. Mais peu importe. Et c’est ici, je crois, que la plupart des critiques, dans l’espèce de fureur sacrée qui s’est emparée de leur docte phalange, se sont trompés sur les intentions de l’auteur et sur le caractère de son œuvre. Ils ont salué l’avènement d’une sorte d’évangile naturaliste. Ils ont rendu compte d’une pièce de théâtre, comme ils auraient fait d’une soutenance de thèse en Sorbonne. Nous sommes au théâtre : les idées de Justin Riolle n’ont d’intérêt qu’en tant qu’elles sont les idées de Justin Riolle. Elles font corps avec le personnage, elles tiennent à son caractère et cadrent avec son type. C’est pour cela même que, si long qu’en soit l’exposé, elles n’ennuient pas. Elles ont passé par le cœur du bonhomme aussi bien que par sa tête ; elles se sont incarnées en lui.