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Ceux de 1830 ont, eu leur bataille de Hernani. Ceux de 1890 ont eu les batailles du Théâtre libre... Ces souvenirs nous revenaient à l’esprit, ce soir de l’Ame en folie où, comme il y a vingt-cinq ans, nous nous acheminions vers un théâtre d’avant-garde. Le théâtre des Arts est celui-là même où, un peu avant la guerre, fut joué le Grand Soir, cette préface de la saturnale russe. Comme jadis au Théâtre libre, la pièce était de M. François de Curel et la mise en scène était de M. Antoine. L’illusion était complétée par la vignette suggestive dont s’ornait notre billet d’invitation : on y voit, parfaitement dessiné, un squelette qui serre galamment dans ses bras décharnés une femme nue. Le programme nous avertissait que cet engageant personnage avait un rôle dans la pièce. Et nous nous remémorions la prédilection qu’a toujours eue le Théâtre libre pour le genre macabre.

Donc la scène représente une maison de campagne où un original, Justin Riolle, s’est retiré pour y mener le genre de vie qui convient à son humeur morose et à son goût pour les rêveries scientifico-philosophiques. Sa femme, qui n’est plus jeune, vient d’être gravement malade. Elle sort à peine d’une longue crise cardiaque : c’est une femme condamnée. .Justin Riolle semble être à peu près seul à ne pas s’en apercevoir ou à ne pas s’en inquiéter. Ce n’est pas un sentimental. Il a une réelle affection pour sa brave femme de femme ; mais cette bourgeoise pot-au-feu est totalement dépourvue d’idées générales : il ne peut voir en elle une compagne de son intelligence. Il vit à côté d’elle et loin d’elle, indulgent et méprisant, retranché dans son égoïsme sarcastique d’homme supérieur et méconnu.

La pauvre femme dont l’esprit faible vient d’être encore affaibli par la maladie, nous confie une terreur qui l’a hantée pendant sa dernière crise. Il y a là-haut, dans un grenier dont son père avait fait jadis un atelier, un squelette. Ce squelette s’obstinait à venir la tourmenter dans sa fièvre. Elle supplie qu’on l’en débarrasse. Justin Riolle y consent, tout en haussant les épaules et regrettant ce vieux meuble qui flattait sa manie de physiologiste amateur et réjouissait, son ironie de misanthrope.

Ainsi commence à se dessiner le caractère de Justin Riolle. C’est une manière de philosophe campagnard. Il a jadis écrit un livre, l’Ame en folie, qui n’a eu aucun succès : l’édition presque complète a fait retour à son auteur. A en juger par ce que nous entendrons tout à l’heure, les savants ont dû trouver qu’il y avait mis trop de