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réfléchi. Je le sais capable de se critiquer lui-même, peut-être de se réformer. Trotsky a le tempérament et les qualités d’un organisateur. Ayant, en somme, créé de toutes pièces une armée, il en est venu à présenter et à considérer lui-même son œuvre comme une œuvre nationale russe, une œuvre de défense contre l’étranger. Cette apparence lui vaut toutes les sympathies des Russes, dont le patriotisme est à base de xénophobie. Quant à Boucharin, c’est un pâle disciple de Lénine, dont il ne possède ni la force logique, ni la faculté de critique : esprit étroit, têtu, incorrigible. J’ajoute qu’au-dessus des préoccupations de doctrine, si puissantes qu’elles soient, tous les chefs bolchévistes russes placent la nécessité de se maintenir au pouvoir, et qu’ils chercheront à s’y maintenir par tous les moyens.

« Reportez-vous maintenant aux événements d’Allemagne. Comment l’anarchisme a-t-il été vaincu ? par qui le spartakisme est-il actuellement tenu en respect ? ce n’est point par la police : c’est par la social-démocratie organisée, par les syndicats. Les disciples allemands de Lénine l’ont si bien compris, que ce n’est pas contre la bourgeoisie, c’est contre les syndicats qu’ils ont agi avec le plus de violence. Ils voient dans les social-démocrates des ennemis beaucoup plus redoutables que les bourgeois. Il en sera en Russie comme il en a été en Allemagne. Le seul moyen de réduire le bolchévisme russe, c’est d’améliorer en Russie la condition matérielle et morale de l’ouvrier, de reconstituer l’industrie, le commerce et l’agriculture, en recréant ou en créant les syndicats. Comme aussi le seul moyen de ravitailler la Russie, c’est de réorganiser la production russe. Un pays de cette étendue et aussi pauvre en voies de communications ne se ravitaille point du dehors.

« Voici donc où je veux en venir. Votre politique en Russie, depuis la révolution, a toujours consisté à combattre quelqu’un ou quoique chose. Mauvaise formule, mauvaise méthode dans un pays où l’on est las de lutter, où l’on aimerait presque mieux mourir en paix que continuer à vivre en se battant. Nous voulons, nous (quand il dit « nous, » il s’agit évidemment des Allemands), nous présenter aux Russes en gens pacifiques, indifférents aux conflits intérieurs, aux luttes des partis, soucieux seulement de remettre le pays en état de produire et de vivre. Nous ne combattrons ouvertement ni le bolchévisme,