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fait dresser l’oreille. Les énormes portes d’écluse, qui s’ouvrent devant la vedette ou se ferment sur elle sans un effort visible, sans un grincement, comme dans un rêve, complètent cette extraordinaire impression de vide et d’irréalité. Le vaste chenal où nous nous engageons est construit en basalte, pierre coûteuse et inusable. « Ici, me dit le capitaine, hivernaient les bateaux employés à la navigation intérieure. Ils nous arrivaient au début de l’hiver et ne repartaient qu’après la fonte des glaces. Ce long séjour ne leur coûtait pas un pfennig. Bien plus, les bâtiments que vous voyez sur la rive, ce sont des écoles pour les enfants des mariniers, un hôpital pour leurs malades. Instruction et soins étaient donnés gratuitement. Vous comprendrez mieux tout cela, si vous vous représentez que, dans un état comme le nôtre, la politique du port et de la navigation était entièrement inspirée et dominée par la politique commerciale. Les « Messieurs de Hambourg » sont de grands marchands ; s’agissait-il de creuser de nouveaux bassins, même pour abriter des bateaux qui ne paieraient rien ? ils étaient prêts à donner des millions, calculant qu’en retenant les bateaux ils attiraient les marchandises, et qu’ainsi les bateaux finissaient tout de même par payer, beaucoup plus cher et beaucoup mieux qu’en acquittant des droits d’ancrage et de séjour. »

Nous filons toujours entre les rives plates et nues, et voici qu’apparaît un village, presque une ville, que domine la coupole d’une église orientale. « Nous sommes, m’explique mon guide, dans le port des émigrants. Sur les 118 131 passagers qui se sont embarqués à Hambourg en 1910, il y avait 48 000 paysans russes, en partance pour l’Amérique. Tout ce monde trouvait ici de vastes baraques, des lazarets, des bains, des établissements de désinfection, des écoles, et même, vous le voyez, un temple pour prier selon le rite orthodoxe. »

Poursuivant notre route vers le Nord, nous arrivons au port des pétroles. Dix-huit tanks alignent leurs énormes cylindres blancs sur la rive gauche du fleuve, tandis que sur la rive droite, les collines d’Altona montrent, à demi cachées dans la verdure, les maisons d’été des grands marchands hambourgeois. Je reconnais Klein-Flottbeck, et la maison blanche du prince de Bülow, moins majestueuse, mais plus plaisante que son impériale villa du Pincio. « L’administration du port,