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placets : ce sont des Polonaises dont les maris ont été arrêtés et emmenés comme « prisonniers de guerre ; » sur ces bouts de papier, elles ont tracé avec confiance les noms de ceux dont elles implorent le retour. Mon regard s’arrête sur deux d’entre elles : une jeune et une vieille. La jeune femme a les yeux pleins de larmes et n’ose pas s’avancer ; la vieille lui soutient le bras et l’encourage. Une horrible angoisse apparaît dans les yeux de la malheureuse, lorsqu’elle voit les autres femmes présenter aux officiers leurs placets. Je l’entends murmurer : « Moi qui n’ai rien écrit ! » Elle éclate en sanglots et tombe sur les genoux, au moment même où les voitures se mettent en marche.

Le château de Pless fut pendant plus de deux ans le siège du Grand Quartier Général allemand. En février 1917, lorsque l’on comprit que la décision ne se produirait pas à l’Est, et que les opérations les plus importantes allaient désormais se dérouler sur le front occidental, l’état-major allemand quitta Pless pour aller s’établir à Kreuznach. Au même moment, le Grand-Quartier Général autrichien, qui avait été jusqu’alors à Teschen, se replia sur Baden, près de Vienne. Entre Pless et Teschen, les relations étaient fréquentés et faciles : une heure d’auto séparait les deux états-majors alliés. De Baden à Kreuznach, on devait s’entendre moins bien.

Je demande si l’on peut visiter le château. On me conduit à un régisseur majestueux, mais déférent. « Le prince et la princesse sont absents, me dit-il. Mais tous les appartements sont ouverts : car nous nous attendions à recevoir les officiers de la commission interalliée. Voulez-vous voir les appartements qui furent occupés par l’Empereur ? » Il n’a pas dit : Sa Majesté. J’accepte et suis mon guide.

Le château de Pless est une énorme bâtisse toute neuve et point belle. Il a été construit entre 1870 et 1875, et se ressent de l’époque. C’est la demeure fastueuse, confortable et sans style d’un commerçant enrichi, plutôt que celle d’un grand seigneur. Et pourtant la maison féodale de Pless paraît authentiquement depuis la fin du XIIe siècle et n’a jamais quitté la Silésie. Seuls la terrasse et le parc ont quelque grandeur. Je pénètre à la suite du régisseur dans un petit salon du rez-de-chaussée. A droite, une chambre à coucher, au milieu de laquelle se dresse un énorme lit en bois doré, à colonnes, et à