Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 55.djvu/416

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont abandonnées ; dans les villages, on ne rencontre guère que des femmes et des enfants. A l’un des rares paysans que j’ai croisés sur ma route, j’ai demandé en allemand, — les Polonais de Silésie connaissent tous la langue de leurs oppresseurs : — « Qu’est-ce que c’est que ce bolchévisme, dont j’ai si souvent entendu parler à Kattowitz, à Gleiwitz, un peu partout en Silésie ? » L’homme réfléchit un instant et réponde : « Le bolchévisme, je ne sais pas exactement, mais je crois que c’est une espèce de Grenzschutz. » Vaguement, il se rendait compte qu’il s’agissait là d’un fléau, de quelque chose de terrible et de destructeur, et son esprit ne lui présentait qu’une image : celle du milicien allemand, déchargeant son fusil sur les travailleurs des champs, pillant les fermes, battant les femmes et jetant des grenades à main par les fenêtres ouvertes des maisons.

Au sortir d’un village, — je crois que c’est Tichau, — je rencontre le curé et j’obtiens de lui quelques détails sur la façon dont les troubles ont éclaté. « Le soir du 16 août — me dit-il, — tout était tranquille dans ce village. Pendant la nuit du 16 au 17, je suis réveillé brusquement par un bruit dans la rue. Je descends. Un paysan me dit : « Les troupes de Haller arrivent. Les Allemands vont nous massacrer. Nous n’avons que le temps de fuir. » J’essaye en vain de le rassurer. Les hommes s’arment, se rassemblent. Ceux des fermes les rejoignent ; et tous, à travers champs et forêts, se dirigent vers la frontière. Ceux-là sont en sûreté, à Teschen. Mais leurs femmes, leurs enfants, comment les protéger contre la barbarie des Prussiens ? »

Il semble donc bien, qu’au moins dans cette partie du pays, l’alarme fut répandue par les Allemands, qui, craignant un soulèvement, le firent éclater avant qu’il ne fût organisé, pour le réprimer plus aisément.

Dans la pelite ville de Pless, tout le monde est dehors. Les généraux alliés venus de Berlin y sont arrivés le matin, et, après avoir fait leur enquête, regagnent les voitures qu’ils ont laissées sur la place. Autour des autos gris, une foule s’est assemblée, surtout des femmes. J’entends quelques cris de « Vive la Pologne ! » à quoi répond timidement un Deutschland über alles ! entonné par quelques voix et bientôt interrompu. Un groupe de femmes s’est approché de la voiture où le général français vient de monter. Quelques-unes tendent des