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ne suis retenu que par la crainte des bruits confirmatifs qui se répandraient sur notre mariage. Je vais le plus ruiné possible, à travers Paris ; je fais voir, le plus possible, un état bien éloigné de la vérité. Mais il vient de Bade des cancans polonais.

Voici huit jours que je suis revenu ; ils se sont passés en courses, en inquiétudes, en pourparlers, et je n’ai pas écrit autre chose que seize feuillets pleins à ma femme. C’est un adorable symptôme d’amour pour elle, mais un affreux symptôme financier. Cela aurait fait les Petites Misères (de la vie conjugale) qui manquent et dont on offre trois mille francs. J’en ai fait de grands bonheurs, mais cela retarde mon retour auprès de toi. Pour t’aimer, il faut ne plus t’écrira que quelques lignes, et faire au plus vite les manuscrits dus.

Malheureusement, ma plume est comme mon cœur, entièrement à toi, et j’éprouve non pas un plaisir (c’est un plaisir depuis douze ans) mais une démangeaison perpétuelle de la prendre pour te parler.

Ah ! tu as vu des joueurs ! J’en suis bien aise, car on t’a dit et tu as cru longtemps que j’étais joueur ! Sache donc, ma bébète, qu’on ne peut pas être amoureux, écrivain et joueur ! Un joueur ne pense qu’à jouer. L’entraînement de la production (littéraire) m’a empêché de tenir ma maison ; il y a eu du gâchis pendant trois ans. Les dettes ont compliqué ma situation, et de là est venue l’opinion que j’étais prodigue. Maintenant, depuis cinq ans, la gouvernante tient la maison. Il n’y a plus de gâchis ; je paie mes dettes ; je ne dépense rien ; on me dit avare. Rien de tout cela n’est fondé. Je t’aime et j’écris, voilà tout.

La vieille fille qui tient (le bureau de) la poste te dira mes anxiétés pour les deux jours de retard, dont tu n’es pas coupable. Je n’existais pas, et j’allais trois fois par jour à la poste. Cela fait sept fois en deux jours.

Allons, mille baisers au minou, cent mille tendresses au cœur, une étreinte de revoir à la femme, une aspiration à l’Eve, une caresse à la petite fille, un serrement de main à l’Éveline, un bien doux sourire à l’Evelette, mon âme et ma vie à toutes ces créatures, et mille souvenirs de bonheur au louloup.