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en me voyant, et m’a fait voir la chose (avec une joie quasi-personnelle) ! Et quelle lettre ! Je l’ai lue en allant tout doucement par des endroits solitaires. Ah ! être aimé ainsi, c’est à ne plus écrire une ligne, et (à) rester couché aux pieds de son Eve !... Enfin, j’ai dormi ! Je dois te l’avouer, voici deux jours que je n’ai pas pris de sommeil, tant ce retard m’inquiétait. Mon Eve, songe que si je n’ai plus quarante feuilles (de la Comédie Humaine) à faire, j’en ai toujours dix-neuf. Tu vois qu’au lieu d’écrire les manuscrits (pour) Chl(endowski) je t’écris à toi. Je t’écrirais toute la journée. Hélas ! Je t’aime comme un fou, je voudrais être près de toi ! .le n’ai pas encore une ligne d’écrite ! En me levant, je viens de relire ta lettre, et je l’ai lue les larmes dans les yeux. Tout ce que je t’ai écrit doit te prouver que ce que tu regardes comme au-dessus de l’homme et l’apanage de la femme, est le fait de ma vie ; je ne pense qu’à toi et à toute heure !

Il y a de trop bonnes nouvelles pour que je ne m’interrompe (sur ce sujet), et ne te les dise pas à l’instant. J’ai soupçonné chez la gouv (ernante) un intérêt à me renvoyer d’ici, et j’ai voulu sonder les Grandemain. J’ai dit au marchand de bric à brac de Passy, qui est leur ami, que j’étais chassé de chez eux, qu’ils faisaient des bêtises, qu’on ne renvoyait pas un bon locataire, etc., etc. Comme cet homme est sur la route de la poste, et que j’allais à la poste deux fois par jour (mon ange, ce chemin est pavé d’inquiétudes, de joies, de mélancolie et de bonheur !), je pouvais causer avec lui. Je lui avais dit cela hier matin, et, à cinq heures, en allant chercher ta lettre pour la deuxième fois. Fontaine (le marchand) me dit : « Je vous ai dit ce matin que Mme Grandemain voulait bien vous garder ; mais quand elle a su que je vous l’avais dit, elle est déjà venue encore savoir pourquoi vous ne lui avez pas parlé. » Donc, j’ai deviné que j’étais sûr de rester ici, malgré l’assurance que la gouvernante me donnait du contraire. Je suis alors entré chez Mme Grandemain, et je suis convenu avec elle de rester dix-huit mois, à hait cents par an, avec une loge de portier à moi et une remise, en plus, et de pouvoir m’en aller à tout moment, en lui donnant un terme.

Si j’étais allé dans la maison tant désirée, il aurait fallu payer un loyer de huit cents francs au moins, si je l’achète, et de deux mille francs par an, si je ne l’achetais point. J’économise