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les témoins s’étaient enfuis, qu’il était mort sur le coup, et que personne n’était venu faire le pieux mensonge de dire qu’il avait demandé un prêtre, qu’on n’avait pas même eu la pensée d’en aller chercher un, et que tout Paris savait qu’il était sorti des bras de Lola pour aller (se battre) au Bois de Boulogne.

J’ai cru devoir me montrer à son enterrement : j’ai trouvé (là) mille amis ! Méry, qui est très frileux, et qui devait porter un des cordons du poêle, est resté dans sa voiture. On m’a prié de le remplacer, et, dans ces circonstances, en présence de ce corps et de l’église fermée, il a fallu marcher, tête nue, de la rue Laffitte au cimetière Montmartre, au milieu d’une foule pressée, comme celle d’un bal de l’Opéra.

La danseuse espagnole, en voyant rentrer les pieds en avant ce garçon qu’elle attendait avec assez d’anxiété, a été renversée. Elle a été emportée évanouie.

Aussitôt que j’aurai fini les Paysans, j’aurai besoin d’un long repos, d’un repos absolu d’au moins six mois. J’ai les nerfs dans un état pitoyable. L’abus du café me fait remuer tous les nerfs des yeux ; je me sens épuisé. Cette longue attente du cœur, du bonheur, d’une vie rêvée, m’a plus détruit que je ne le croyais. Je ne vois rien de décidé dans ta pensée pour nous ; il y a dans ta volonté bien des choses flottantes, et cela s’accorde avec les paroles de doute de (Mademoiselle) Borel. Je suis agité, dans le principe même de ma vie, à en mourir. Cette incertitude plane sur toutes choses. Aussi n’y a-t-il qu’un mot pour rendre ma situation : Je me consume.

Je te pardonne tous les maux qu’il y a dans cette phrase, car ils viennent plus des choses que de toi-même, et peut-être de mon cœur qui, lui aussi, a de l’imagination.

Une profonde mélancolie est entrée dans mon âme, apportée par cette dernière lettre où il n’y a que deux mots de tendresse, rien de ta vie, et écrite à la hâte.

Quand je t’écris, je t’écris en me levant à deux heures du matin, dans le silence et la nuit, dans le recueillement. Je ne demande pas cela ; mais voici bien des fois que je te demande de me donner un quart d’heure tous les jours. Enfin, tu es l’aimée et tu le sais bien, quoi que tu dises. Tu sais bien que, nous ne devrions plus nous revoir, tu agiterais ma vie jusqu’à mon dernier soupir, que tu serais l’étoffe même de mes pensées. Tu te sais aimée absolument !