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qu’un instant. Je ne te reproche pas d’y être restée. Il eût été insensé de voyager par cet hiver, qui a mis de la neige jusqu’en France, à rendre les chemins impraticables. Mais, qui t’empêchait d’être une heure avec moi tous les jours ? Cette pensée a fait de grands ravages chez moi. Je suis resté sept heures dans une tristesse de suicide, car ta lettre était une sorte de coup de grâce, et j’ai bien vu que tu ne sais pas ce que tu es pour moi, ni combien je. t’aime, ni... Enfin, ces récriminations d’une jalousie qui ne s’attaque qu’à l’âme et à son exhalation, pour ainsi dire, en amènent, chez toi, qui s’attaquent à des faits. Je me tais (donc), et je vais me mettre à l’ouvrage, afin d’être à F (rancfort) quelques heures après avoir reçu la lettre où tu me diras de venir.

Les journaux t’auront appris la fin de Dujarier. Je m’étais lié avec ce garçon depuis trois mois ; il m’avait chargé de le marier, et Mme de Bocarmé ne demandait pas mieux que de lui donner sa fille.

Mais, à l’entrevue, elle le trouva poitrinaire, ce qui était, et n’en voulut plus. Il avait chargé un de ses amis de le marier, comme il m’en avait chargé aussi, et, le jour de sa mort, il devait arrêter le contrat. Il s’est conduit plus en gentilhomme qu’en parvenu, car la veille du duel il est allé passer la soirée chez (Alexandre) Dumas. Il fut gai, et, à onze heures, il le prit à part en s’en allant et lui dit : « qu’à raison de leur mort respective le traité devant être nul, relativement à l’exploitation de ses œuvres, il ne voulait pas qu’il fût dans l’embarras jusqu’à ce qu’il eût trouvé un éditeur, qu’il se battait (le lende)main, qu’il pouvait être tué, » et il lui donna trois billets de mille francs.

(Là-dessus), il est rentré écrire son testament.

Cette nouvelle m’a fait mal ; j’avais joué et diné avec lui dix jours auparavant, le jour même où il avait eu Lola Montés. Mme Gay lui dit à ce diner qu’il avait un abattement indiscret. Lola Montés n’était pour rien dans le duel, sans motif sérieux, et dont l’histoire est trop ténébreuse pour être écrite. Je vous la raconterai. Il était aimé à la Presse, où Girardin est haï. Ce fatal événement a été la cause d’une affluence excessive à son convoi, et l’église a été la cause d’un redoublement (d’empressement). L’archevêque a refusé de recevoir le mort à l’église. Il a dit avec justesse que le cas était trop public, que