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niche, le nécessaire. J’ai beaucoup gagné auprès des gens sérieux ; on commence à comprendre que je suis beaucoup plus historien que romancier. Enfin, on ne (me) conteste plus, et c’est alarmant. Il faut que l’on crie après moi pendant dix ans encore.

Adieu, mon bonheur chéri, ou plutôt, à bientôt, car je vais me mettre en mesure d’aller voir les rives de l’Elbe. Il est indécent que tu restes là trois mois sans que j’y vienne, quand je suis allé à (Saint-)P (étersbourg). C’est insultant pour nous deux, et je suis dans un mortel chagrin d’avoir à écrire (en ce moment) autant de lignes qu’il y a de pas entre nous.

Mais si tu me vois le 25 ou le 30 de ce mois, tu peux me regarder avec admiration : j’aurai fait un terrible tour de force. Maintenant, ma décision est prise, et je vais travailler avec une (ardeur) extrême, et Dieu veuille que le bonheur (de l’exécution) soit égal à la volonté !

Le jour me surprend à t’écrire, et j’aurais dû faire le traité des Petites Misères (de la vie conjugale). Allons, chère vie de mon âme et principe de tous mes efforts, il faut te quitter pour toi-même et travailler comme jamais, afin de ne plus tarder. Eh ! si j’avais su, je pouvais encore partir le 1er février et être de retour ici le 1er mars, t’ayant (vue) pendant quinze jours. Je t’écoute trop ! Maintenant, je broche mon ouvrage et je pars, ne fût-ce que pour te voir me prier de repartir. Je t’aurai vue. Après tout, l’imprudence de (Saint-)P (étersbourg) n’a pas été grande et ne t’a fait aucun tort.

Allons, ma minette, mon minou chéri, mille caresses et mille tendresses. Adieu, pense à moi, mais écris-moi plus en détail que tu ne le fais, et tous les jours. Tu as tout ton temps. Tu n’as pas de Paysans à écrire. Tu peux me réjouir de ton écriture, de ta chère pensée, beaucoup plus que moi, et c’est moi qui écris les plus longues lettres et le plus souvent.

Voilà le grief sérieux de cette lettre, et ce qui me confond quand je soupèse tes lettres. Oh ! chère ange, si tu savais ce que sont tes douceurs pour un pauvre homme, qui travaille plus quand il ne travaille pas que quand il travaille, qui ne vit que par son Eve et qui ne songe qu’à elle ! Je t’en supplie, si tu m’aimes, écris-moi plus souvent, n’affranchis pas, et aime-moi encore plus, ou, si tu veux, dis-le moi davantage. Je t’envoie bien des impatiences dans mes tendresses et bien des baisers