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officiers allemands de la garnison en uniforme ? M. Maurice Barrès a raconté la scène dans Colette Baudoche. On pense si, dans un tel milieu, la prise de Stettin et de 6 000 Prussiens par une brigade de hussards sans une pièce de canon, produisit son effet. L’histoire, pour M. Madelin, dans de telles conditions, c’était déjà quelque chose comme une petite revanche intime.

Mais tout ne finissait pas avec la conférence. Au contraire, cela ne faisait que commencer. Vous croyez peut-être qu’un orateur qui venait de parler une heure et demie, après des nuits de Pulman-car, pouvait avoir le droit de se sentir fatigué ? C’est que vous ne connaissez pas Madelin. Après avoir parlé, il causait. Et quel causeur ! C’était un flot de souvenirs, d’anecdotes sur les personnages politiques et sur certains dessous de l’histoire contemporaine, sur la séparation et sur le modernisme, sur Pie X et le cardinal Rampolla. Madelin était intarissable. Impossible de trouver mieux pour une œuvre d’expansion française. Il était l’expansion incarnée. On eût dit qu’il n’avait pas ouvert la bouche depuis trois mois, tant les paroles se pressaient abondantes sur ses lèvres. Il causait ainsi jusqu’à deux heures du matin. Et il recommençait le lendemain.

Tout cela donnait l’impression d’un magnifique tempérament. Je m’amusais, en l’écoutant, à démonter en esprit cet admirable mécanisme que je voyais ainsi fonctionner devant moi. Ce qu’on appelle le don, c’est-à-dire la faculté rare de faire une certaine chose et d’être organisé par la nature pour cet objet, je n’en ai guère vu d’exemple plus frappant. Je viens de parler de sa mémoire. Je n’étais pas moins charmé d’un autre trait : c’est qu’il n’y avait en lui rien de livresque. Un historien sent toujours plus ou moins la poudre des bibliothèques. Mais celui-là n’avait pas moins appris dans la vie et dans le monde, dans les salons et dans les coulisses du Parlement, que dans les cartons des Archives et les liasses de dossiers des Affaires étrangères. Ancien « Romain, » le Forum ne l’avait empêché de voir ni le Consistoire ni Montecitorio. Fouché, Talleyrand n’étaient pas pour lui moins vivants qui MM. René Viviani ou Aristide Briand.

Il évoluait des uns aux autres avec aisance, passait sans nulle difficulté de l’un à l’autre étage et d’une génération à l’autre, familier avec tout le personnel politique du régime