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de solliciter une entrevue avec M. Wallenberg et lui remis la note si impatiemment attendue par lui. Le ministre des Affaires étrangères suédois ne me cacha pas sa grande satisfaction. « Ce que vous m’apportez là assurera, je l’espère, définitivement la neutralité de la Suède, car la déclaration russe rassurera beaucoup de monde chez nous au sujet de vos prétendues intentions. » Presque immédiatement après, parut effectivement la déclaration de la neutralité absolue de la Suède, et ceci contribua à calmer considérablement l’opinion publique.

Dès lors, il y eut en Suède deux courants absolument distincts. La majorité du pays, — en premier lieu les libéraux conduits par Mrs Staah, Ehrensvard et Edèr [1], — se rangea à l’opinion que la Suède devait, à tout prix, sauvegarder sa neutralité ; l’autre courant, celui des activistes, prônait au contraire, à chaque circonstance favorable, l’idée d’une alliance avec l’Allemagne ou, pour le moins, l’opportunité de parler à la Russie et à ses alliés un langage ferme et même menaçant, chaque fois que ces puissances seraient tentées de restreindre et de léser, en quoi que ce fût, les intérêts de la Suède.

Grâce au sincère amour de la paix du roi Gustave V, grâce à l’intelligente et ferme politique de M. Wallenberg, grâce surtout à la parfaite droiture dont firent preuve, en toutes circonstances, le souverain et son ministre, le premier courant, celui de la neutralité, prévalut définitivement. Ce n’est qu’aujourd’hui, après que la longue et terrible lutte a pris fin, que l’on peut apprécier à sa juste valeur la sage et loyale conduite de ces deux hommes de bien, auxquels il est équitable d’ajouter encore un troisième nom, celui du leader des socialistes suédois, M. Branting. Pendant tout le cours des événements, ce dernier se conduisit en patriote suédois plutôt qu’en chef d’un parti extrême et par cette attitude même fit bien plus et pour la cause de la paix, et pour sa propre autorité, et pour celle du socialisme suédois, que s’il avait voulu, profitant des circonstanciés, extorquer au gouvernement des concessions et des capitulations.

Quand je dis que ce n’est que maintenant que l’on peut apprécier les services rendus par les chefs du parti de la neutralité, j’ai en vue que ce n’était pas du tout l’assurance de la

  1. M. Edèr remplaça dans la direction du parti M. Staah qui mourut inopinément dès le commencement de la guerre.