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venaient de quitter le pouvoir et en étaient sortis passablement défaits, mais qui avaient quand même une forte assiette dans le pays, et les socialistes, conduits par M. Branting et par le baron de Palmstierna. De sources autorisées, je savais que, dans les couches profondes du peuple suédois, on était réfractaire à l’idée même de la guerre ; mais je savais aussi que, si la guerre éclatait quand même, les soldats se battraient admirablement et que la population entière se montrerait prête à tous les sacrifices pour le salut de la patrie.

Je vis le lendemain même M. Wallenberg, qui me dit, dans des termes sérieusement pesés, que le gouvernement espérait sauvegarder le principe de la neutralité suédoise.

Le jour même de l’arrivée de notre nouvel attaché militaire, c’est-à-dire le jeudi 30, j’avais fait les démarches nécessaires pour obtenir l’autorisation de le présenter à Sa Majesté le Roi. J’attendais avec une impatience, — croissante à mesure que se dessinaient les événements, — une réponse à ce sujet. Si le Roi nous recevait, ce serait un bon signe ; s’il déclinait l’audience, on serait autorisé à en tirer les plus mauvais augures. Enfin, le lundi, vers le soir, je fus informé que nous serions reçus tous deux le lendemain mardi, à onze heures.

On nous introduisit, à l’heure indiquée, dans un salon attenant au cabinet de travail du Roi ; la réception fut glaciale : c’est à peine si le Roi adressa quelques paroles au colonel Kandaourow. L’incident Assanovitch était de trop fraîche date !

Mais, après ce court entretien, Sa Majesté me pria de passer seul avec elle dans la pièce voisine. Et là, — tout comme le jour de mon audience solennelle, — le Roi changea complètement de ton. M’invitant à prendre place et ne cachant pas la profonde émotion que lui causaient les événements qu’il taxa de « terribles, » il me dit, en appuyant bien sur chacune de ses paroles : « J’ai tenu à vous voir, Monsieur le Ministre, pour vous dire que la Suède n’était liée avec personne. » Le Roi me répéta ensuite ce que m’avait communiqué la veille son ministre des Affaires étrangères, c’est-à-dire, que le Gouvernement suédois désirait garder une neutralité absolue ; « pourvu, ajouta Sa Majesté, que les pays belligérants nous rendent possible cette résolution ? » Je m’empressai de répondre que pour ce qui était de la Russie et de son alliée (la Grande-Bretagne ne