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Je refoulai mes sanglots et sortis de la chambre. « Le vin est tiré ; il s’agit de le boire ; jusqu’à la lie s’il le faut. » Cette formule me rendit mon courage et ma faculté d’action.

Ayant achevé ma toilette, j’allai à la chancellerie de la Légation, où toute une troupe de nationaux, — les premiers échappés de l’Allemagne, — m’attendait. « Messieurs, leur dis-je, je viens de recevoir la nouvelle officielle qu’hier soir la déclaration de guerre a été remise à notre Ministre des Affaires étrangères par l’Ambassadeur d’Allemagne. Messieurs, vive la Russie ! vive Sa Majesté l’Empereur ! »

Un murmure indistinct accueillit ce petit speech. Un monsieur à barbe rousse et au nez crochu prit alors la parole et me dit, avec un accent russe très accusé : « Oui, c’est très bien. Monsieur le Ministre, vive la Russie et l’Empereur ; mais avant tout il faut s’occuper de notre malheureuse situation ; nous venons d’arriver de l’Allemagne ; comment, par quelle voie pourrons-nous rentrer dans notre patrie ? etc. » « Toujours les mêmes, ces compatriotes ! » me dis-je avec un sentiment amer de la réalité des choses ; et ce sentiment acheva de me rendre tout mon sang-froid. Il fallait parer aux choses les plus urgentes et laisser le reste à la volonté de Dieu...


III

La première question, — la question angoissante entre toutes pour moi, — était celle du parti qu’allait prendre la Suède. Resterait-elle neutre ? Se rangerait-elle décidément du côté de l’Allemagne, comme l’annonçait à qui voulait l’entendre M. de Reichenau ?

Je savais bien quels étaient les éléments qui, dans le pays, préconisaient l’alliance active et immédiate avec Berlin. C’étaient, en premier lieu, la majorité des généraux et des officiers de l’armée suédoise, sortis principalement des rangs de la noblesse, convaincus de la supériorité écrasante des forces allemandes et de leur infaillible victoire, animés des vieilles rancunes contre la Russie et de l’espoir de nous enlever, pour le moins, la Finlande. C’étaient ensuite une grande partie de l’aristocratie, la grande masse du clergé luthérien (il n’en existe pas d’autre en Suède) et la majorité des universitaires.

Les partisans de la neutralité étaient : les libéraux, qui