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j’occupais, comme vous le savez, les fonctions d’adjoint du quartier-maître général de notre Grand Etat-Major ; comme le travail était immense, je n’ai quitté mon bureau que deux heures avant le départ du train pour Abo, c’est-à-dire, hier jeudi et toute la nuit, je fus occupé à expédier des ordres péremptoires à nos chefs de troupes en Pologne et sur la frontière de Prusse, d’éviter soigneusement en cas de mobilisation, tout ce qui eût pu paraître aux autorités allemandes une menace d’action militaire contre l’Allemagne. Tous les postes de frontière devaient être reculés à dix et à quinze kilomètres, aucune colonne de marche ne devait être formée ; les garde-frontières même devaient être retirés afin qu’il ne put y avoir aucune collision au cas où les troupes allemandes s’approcheraient de notre frontière et même la dépasseraient... Ces ordres émanaient de Sa Majesté elle-même ; ils arrivèrent au Grand Etat-Major très tard dans la soirée de mercredi, et, hier jeudi, à six heures du matin tous les télégrammes qui en découlaient étaient expédiés. Vous pouvez juger par là, Monsieur le Ministre, qu’on n’a aucunement perdu chez nous l’espoir de s’arranger avec Berlin... » Cette nouvelle me redonna de l’espoir ; mais ce ne fut pas pour longtemps : le lendemain matin parut la nouvelle de l’ultimatum allemand adressé à la Russie, et je compris dès lors que tout espoir était évanoui.

A Stockholm, dès vendredi soir, régna une vraie panique : toutes les banques furent fermées, par ordre du Gouvernement, pendant qu’aux portes d’énormes queues se formaient de gens qui voulaient reprendre leurs dépôts et leur argent. L’escadre des « destroyers » du prince Eitel Friedrich était repartie l’avant-veille pour une destination inconnue. On m’avisa que mon collègue d’Allemagne avait dit dans une réunion, qu’il était sûr que la Suède marcherait avec l’Allemagne.

Samedi matin je reconduisis au bateau en partance pour Abo les membres de la délégation russe à la Conférence du Spitzberg qui venait de se terminer à Christiania, MM. Bentkowski et Mandelstamm. Avec eux partait mon fils aîné, attaché à la chancellerie du Ministère des Affaires étrangères, qui venait d’arriver en congé et qui était rappelé d’urgence à cause de l’énorme masse de travail à la chancellerie. Je chargeai ces messieurs, mais principalement M. Mandelstamm, qui connaissait si bien le terrain de Constantinople, de transmettre