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m’exprima son grand plaisir de s’entretenir avec moi. « Que fait-on en ce moment à Berlin ? On est en train de déchaîner les plus terribles événements qui se soient jamais passés en Europe... — Mais nous ne voulons aucunement la guerre, je vous assure ; protesta M. de Reichenau. — Voyons, très franchement, mon cher collègue, est-ce que vraiment vous pouvez croire que c’est nous qui voudrions la guerre ? — Non, je ne le crois pas ; mais il n’est pas question de guerre ou de paix. Nous sommes fermement décidés à châtier cette fois les Serbes — die Friedensstoerer, — comme ils le méritent. Vous voulez l’empêcher. Eh bien ! nous ne pouvons pas admettre que vous assumiez ce rôle de protecteurs obligés des Serbes ou de quelque autre peuple balkanique ; cela donne à ces petits Etats une arrogance et une audace qui sont incompatibles avec la dignité et les intérêts vitaux de l’Autriche-Hongrie et de l’Allemagne elle-même. Voilà avec quoi nous voulons en finir, voilà contre qui nous armons. — Mais comment voulez-vous que nous abandonnions complètement notre rôle de protecteurs des nationalités slaves et orthodoxes en proche Orient ? C’est de l’histoire. On ne remonte pas le courant de l’histoire ! Je comprendrais encore que vous nous disiez : arrangez-vous avec l’Autriche pour maintenir dans les Balkans l’ordre et la sécurité politique. Mais entreprendre une action armée en Serbie et dire que cela ne nous regarde pas, cela notre opinion publique ne pourrait jamais ni le comprendre, ni le pardonner au gouvernement, si le gouvernement impérial s’y prêtait !... Songez donc, dans le courant des cinq dernières années, c’est pour ainsi dire le troisième ultimatum que vous nous adressez virtuellement au sujet des affaires balkaniques. En mars 1909, vous nous aviez sommés de nous incliner devant le fait de l’annexion de la Bosnie ; nous nous sommes inclinés. En 1912, vous avez exigé que nous amenions les Serbes à se retirer du littoral nord-albanais et les Monténégrins à abandonner Scutari : nous nous y sommes honnêtement employés, malgré les protestations et les cris de la majeure partie de notre presse. Maintenant vous voulez que nous assistions impassibles et indifférents à l’exécution de la Serbie, sans même savoir jusqu’où ira cette exécution ! Croyez-vous possible pour notre ministère des Affaires Étrangères, pour Sa Majesté l’Empereur lui-même de consentir à cette troisième capitulation ?... — Oui, je comprends