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trouverait en collision ouverte avec les deux Empires Centraux.

Les négociations et les événements des jours suivants démontrèrent que ces deux Empires n’envisageaient pas d’une façon identique l’action qu’ils venaient d’entreprendre. Tandis que pour les Autrichiens il s’agissait surtout de châtier les Serbes, de prendre une revanche des événements de 1912 et de 1913, d’asseoir à nouveau et manu militari l’influence de l’Empire dans les Balkans ; tandis qu’à Vienne on espérait in petto une capitulation de la Russie qui eût permis à l’Autriche de faire le coup sans affronter les terribles épreuves de la grande guerre, — à Berlin on voulait précisément cette guerre qu’on avait décidée, après de longues tergiversations et une lutte sourde mais violente entre le parti de la guerre préventive et celui de la paix ; et, l’ayant une fois décidée, on voulait la faire déclencher dans le moment choisi et qui semblait particulièrement propice. J’ai tout lieu de croire qu’à la Wilhelmstrasse, on s’était préparé à la marche des événements dans l’ordre suivant : 1° bombardement de Belgrade et investissement de la Serbie par les troupes austro-hongroises ; 2° mobilisation russe et ultimatum de la Russie à l’Autriche ; 3° contre-ultimatum et déclaration de guerre de l’Allemagne à la Russie. Lorsque, dès le mardi 28, se révéla à Vienne une certaine hésitation et une tendance à entrer en conversation avec la Russie, Guillaume II et ses conseillers décidèrent de brusquer les choses et, sans attendre la deuxième phase qui pouvait faire défaut, lancèrent leur ultimatum et leur déclaration de guerre à la Russie en prenant prétexte de la mobilisation russe.

Tout ce plan ne se révéla pourtant, dans sa cynique crudité, que par la suite. Alors on pouvait encore espérer contre tout espoir et tenter des solutions possibles. C’est ce qu’on eût fait chez nous, si à Berlin on nous eût laissé quelques jours de répit.

Le mardi 28 juillet, les télégrammes des agences constatant une certaine détente, — je me rendis chez mon collègue d’Allemagne, M. de Reichenau, afin de sonder auprès de lui la situation. Je lui dis tout franchement que j’étais très inquiet et que je profitais peut-être du dernier jour où il nous serait permis, à lui et à moi, de causer ensemble. « Les événements sont d’ailleurs tels qu’il faut ou bien tout dire, sans aucune réticence, ou bien ne pas du tout causer, ajoutai-je, lorsque M. de Reichenau