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péril allemand et l’agitation de Guillaume. Il se disait probablement aussi que l’un des bons moyens d’éviter les dangers, était de ne pas les proclamer trop haut, ni de livrer des appréhensions insuffisamment contrôlées aux indiscrétions des bureaux et des cours.

Moins compréhensible fut pour moi le scepticisme dont fit preuve (ou parade) M. Schébéko. Peut-être croyait-il pouvoir, en temps utile, maîtriser la situation. Il avait été, à Vienne même, le proche témoin de l’ascendant qu’y avait su conquérir son ancien chef, le prince Lobanoff. Il avait vu ce dernier, et à plusieurs reprises, agir par la force de son caractère et la lucidité de ses arguments sur l’esprit chancelant de ses partenaires viennois et attirer en même temps chez nous l’attention sur les écueils qui se présentaient et sur la nécessité de les éviter. Cette force de caractère et de tempérament M, Schébéko la possédait incontestablement. On le vit lorsque, revenu en toute hâte à Vienne pendant la semaine tragique qui précéda la rupture, il sut en deux entrevues avec le comte Berchtold, lui extorquer le consentement d’entrer en conversation avec la Russie, c’est-à-dire d’abandonner la posture intransigeante qu’avait adoptée dès le premier jour le gouvernement austro-hongrois. Guillaume II fut obligé alors de recourir à des moyens extrêmes et à l’ultimatum lancé à la Russie pour déchaîner quand même les événements et entraîner l’Autriche à sa suite. L’intervention énergique de l’ambassadeur de Russie était malheureusement venue quelques jours trop tard.

On m’a assuré aussi que le voyage même qu’avait entrepris M. Shébéko, avait eu pour but principal de causer de vive voix avec M. Sazonow au sujet de la situation qui se faisait grave et des événements qui se dessinaient. En ce cas, il faut énormément regretter que notre ambassadeur à Vienne ne se soit pas mis en route beaucoup plus tôt, c’est-à-dire, dès l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand.

C’est par un optimisme démesurément « robuste » que pécha dans cette circonstance toute notre diplomatie et je suis toujours encore à me demander d’où pouvait venir cet optimisme, alors que l’Europe entière était prise d’un malaise incontestable et alors qu’en Russie même, continuait à gronder sourdement la révolution enrayée mais non liquidée depuis 1906 ?

Oui, la révolution était toujours là, étendant ses racines