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aviver mes propres appréhensions. Sir Esme Howard (alors encore M. Howard), — dont j’ai su apprécier plus tard les éminentes qualités d’esprit et de caractère, — reflétant d’office les dispositions profondément pacifiques du ministère Asquith-Grey, — ne se laissait pas aller à des prophéties lugubres, ni à des considérations qui eussent pu me mettre en garde contre les Suédois et leur politique actuelle ; M. Howard était plutôt enclin à ridiculiser l’agitation de Swen-Hédin et consorts et n’y voyait pas le reflet d’une manœuvre politique préconçue de Berlin. Mon collègue de France M. Thiébaud prenait plus au tragique l’agitation « russophobe » qui s’était emparée de la Suède. Il me prémunit longuement contre la répétition de fautes déjà commises, à son avis, par la représentation russe et surtout contre tout agissement qui eût pu paraître suspect aux Suédois. J’abondai tout à fait dans le sens de mon collègue. Je sus plus tard que M. Thiébaud avait entamé à cette même époque des pourparlers confidentiels avec ses chefs, afin de préparer une espèce d’intervention du Président de la République lui-même entre la Suède et la Russie. M. Poincaré allait se rendre bientôt en Russie et de là faire des visites officielles aux trois Cours scandinaves et devait à cette occasion faire à Pétersbourg des observations amicales au sujet de « l’affaire Assanovitch » [1] et rapporter au Roi de Suède des explications rassurantes de Sa Majesté l’Empereur. Cette idée fut adoptée ; elle avait du bon, tout en exagérant un peu trop la portée des calomnies Swen-Hédinoises.

Dans le courant du mois d’avril, j’eus à m’occuper plus spécialement de la participation russe à une exposition « des pays riverains de la Baltique » qui allait être inaugurée à Malmoë [2]. Le Gouvernement impérial, froissé par les récentes démonstrations suédoises, ne voulut prendre aucune part à cette exposition. Mais ensuite, grâce aux efforts de quelques personnes qui craignaient que cette abstention ne fût mal interprétée en Suède, on permit à M. Emmanuel Nobel de se mettre à la tête d’un comité d’initiative privée, lequel, tant bien que mal, mit sur pied une section russe. Le résultat fut au point de vue matériel, très maigre : quelques broderies et

  1. L’attaché militaire de Russie dont les Suédois avaient exigé le rappel par suite d’un procès en espionnage intenté à deux Scandinaves demeurant en Suède.
  2. Port suédois, situé vis-à-vis de Copenhague.