Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 55.djvu/347

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mentalité du remarquable homme d’Etat suédois et je pus constater que, sans manquer de franchise, M. Wallenberg pesait profondément ses paroles et ne les jetait jamais au vent. C’est en cela surtout qu’apparaissait la longue expérience du financier. D’ailleurs M. Wallenberg est essentiellement Suédois, et tout Suédois est particulièrement parcimonieux de paroles. Si donc le nouveau ministre des Affaires étrangères avait cru nécessaire de m’entretenir, dès le début de nos relations, de ses craintes au sujet de l’état politique de l’Europe, c’est qu’il devait avoir des raisons très sérieuses pour le faire.

L’agitation artificielle entretenue dans le pays, la collision d’opinions entre le Roi et le Cabinet Staaf-Ehrensvaerd et les démonstrations qui avaient amené la dissolution de la Chambre, étaient dues, — les événements qui ont suivi sont là pour le prouver, — aux excitations allemandes. Des projets criminels mûrissaient à Berlin ; il fallait tâcher de recueillir, du côté de la Suède, le fruit du travail opiniâtre dont j’ai parlé plus haut ; il fallait s’assurer, en fin de compte, l’alliance formelle de la Suède.

Nul doute pour moi que, dans le courant du mois de février 1914, la Cour de Suède n’ait été avisée de Berlin de l’extrême tension de la situation politique et n’ait reçu des propositions d’alliance. De là, le sérieux avec lequel le Roi Gustave V jugea la question de la défense nationale de la Suède, de là aussi son désir de s’entourer, dans la grande crise qui se préparait, de personnages qu’il considérait soit comme très prudents et versés dans les questions de politique générale, soit comme des amis personnels. M. Hammarsjold semblait, — dans l’opinion du Roi, — répondre surtout à la première condition ; en M. Wallenberg, d’autre part, Sa Majesté retrouvait un ami éprouvé des heures difficiles et un conseiller dont le bon sens saurait faire face aux circonstances exceptionnelles qui s’annonçaient. Car M. Wallenberg était réellement un intime du Roi et jouissait de sa complète confiance.

Or, dès que les nouveaux ministres furent appelés au pouvoir, Gustave V dut les mettre au courant de la situation et leur confier, — surtout à M. Wallenberg, — les renseignements qu’il tenait des sources les plus intimes et qui devaient rester cachés à tous ceux dont il n’était pas complètement sûr. Connaissant