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ses camarades ; d’ailleurs très distingué par les belles dames de la société de Stockholm dont il a toujours été le favori.

Comme je l’ai dit plus haut, le Roi tomba gravement malade au cours de son voyage dans le Nord. Il fut pendant des semaines entre la vie et la mort, et ce ne fut qu’en juillet que je le revis, extrêmement éprouvé, amaigri et affaibli, mais commençant à reprendre peu à peu ses forces et sa santé.


Deux jours après mon audience solennelle chez le Roi, j’allai chez M. Wallenberg, avec lequel je n’avais fait qu’échanger, à peine débarqué, quelques banalités d’usage. Le nouveau ministre suédois des Affaires étrangères se mit aussitôt à causer avec moi affaires, et, à ma grande surprise, entama un sujet de « haute politique » et de politique générale. Il m’exprima, en termes surveillés, mais néanmoins très francs, ses appréhensions au sujet de la situation de l’Europe, et même ses craintes pour la conservation de la paix. Tout en partageant in petto les sentiments de mon interlocuteur, je me gardai bien d’abonder dans son sens et même de le suivre dans cet ordre d’idées scabreux ; j’exprimai, au contraire, le ferme espoir que la paix ne serait nullement menacée, que chez nous on ferait tout pour éviter des frottements dangereux, que ma longue carrière diplomatique m’avait habitué à ces accès de malaise européen qui, heureusement, n’avaient jamais de suites désastreuses, etc.. Cependant mon interlocuteur ne se laissait pas décourager. « Vous arrivez de l’Orient balkanique, monsieur le ministre, et en connaissez bien la situation ; ne croyez-vous pas que l’état politique de ces contrées est plein de menaces ? Ici et dans beaucoup d’autres endroits on craint que de là justement ne puisse venir le danger. » Je fis de nouveau la sourde oreille à cette invite aux confidences. « Voici un banquier, me dis-je, qui vient de devenir ministre des Affaires étrangères et qui croit de son devoir, — dès la première entrevue avec le nouveau ministre de Russie, — de l’entretenir de questions de haute politique. » Si j’avais un peu connu M. Knut Wallenberg, je n’aurais jamais formulé un jugement aussi erroné. Depuis, au cours de trois années de relations presque quotidiennes, au milieu d’événements d’une gravité exceptionnelle, j’appris à connaître à fond le caractère et la