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au Roi leurs lettres de créance, se fait à Stockholm dans le cadre prescrit par l’ancienne étiquette. A l’heure convenue, un maître de cérémonies vint me prendre chez moi et me conduire, ainsi que ma suite, dans des carrosses dorés au palais. Pas d’escorte ; mais en revanche, au château de Stockholm, — grandiose dans sa simplicité de vieux palais romain, — les dragons de la garde étaient échelonnés le long du grand escalier dans leurs uniformes historiques du temps de Charles XII. A l’entrée des salles de réception, remplies de beaux meubles, de tableaux, de bronzes et d’admirables Gobelins du XVIIIe siècle, m’attendait toute la Cour du Roi. Aussitôt les présentations faites, les portes s’ouvrirent et je fus introduit auprès de Gustave V. Sa Majesté échangea avec moi, sur un ton froid et compassé, les compliments d’usage, accueillit de même les personnes qui m’accompagnaient et puis me pria de le suivre dans son salon privé ; le Ministre des Affaires Etrangères M. Wallenberg (dont j’avais fait connaissance la veille) y fut aussi invité. Là l’expression du visage et le ton du Roi changèrent complètement. Il s’assit, en nous offrant des sièges, et commença par me poser des questions sur la santé de l’Empereur et de sa famille ; il passa ensuite avec beaucoup de simplicité à la question épineuse du récent divorce de son fils et exprima, en termes dont on sentait la parfaite sincérité, ses regrets d’avoir vu partir pour toujours la jeune Grande-Duchesse, sa bru, à laquelle il était très attaché.

J’appréciai la dignité et la franchise de ces paroles qui me mettaient d’emblée à l’aise avec le Roi. Sa Majesté me questionna ensuite au sujet des événements qui s’étaient déroulés en Bulgarie. « Comment le roi Ferdinand, qui avait la réputation d’un politique si fin, avait-il pu perdre si complètement la partie qu’il avait engagée ? » Je répondis par quelques appréciations sur les événements dont je venais d’être témoin, ainsi que sur la personne de Ferdinand. J’émis entre autres choses l’opinion que le caractère si étrangement indécis du Roi avait été pour beaucoup dans ses déconvenues ; s’il avait su, dès le commencement, adopter un parti et s’y tenir tout le temps, beaucoup de choses ne seraient pas arrivées. Mais Ferdinand avait continuellement changé d’avis et de direction... Ici le Roi m’interrompit. « Oh, Monsieur le ministre, s’écria-t-il d’un ton sincèrement convaincu, ne jugez pas trop