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nous faisons pas d’illusion : leur mentalité n’est pas la nôtre. La plupart des occupations qui font pour nous le prix et la beauté de la vie leur sont indifférentes. Aujourd’hui, comme ii y a vingt-cinq ans, à la plainte désespérée qui s’élevait à la mort d’un Lavoisier : « Une seconde a suffi à faire tomber cette tête ; un siècle suffira-t-il à en produire une pareille ? » vous entendriez répondre durement : « La République n’a plus besoin de chimistes. » Pas davantage d’astronomes ou de mathématiciens… »

Paroles glaciales, je veux dire qui font froid au cœur et qui prennent d’autant plus de sens qu’elles sont prononcées par un fils du grand Berthelot. Je les ai transcrites sur mon exemplaire de l’Avenir de la science. Je n’y veux voir toute fois qu’un avertissement et le cri d’alarme qui nous signale un péril possible de mort. J’ai confiance que les nouveaux venus peuvent être intéressés et associés à la vie supérieure et qu’ils vont déléguer, selon l’usage immémorial, leurs fils les meilleurs au banquet de la lumière pour qu’ils en deviennent les conservateurs.

En tout cas, plus que jamais nous avons le devoir d’entraîner l’opinion publique vers la grande culture intellectuelle et morale ; plus que jamais, l’État doit être l’organisateur de la recherche scientifique et de tout ce qui favorise les hautes tendances de la nature humaine. Dans aucun moment le rôle du ministère de l’Instruction publique ne fut aussi sérieux.


Veuillez recevoir, Monsieur le Ministre, l’expression de ma haute considération.


MAURICE BARRÈS.