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— je dirais, d’une façon plus générale, des chefs. « Un esprit bien fait vaut mieux qu’un esprit bien plein. » Le savant n’est pas celui qui sait, mais celui qui fait. Qu’un esprit bien dressé, rendu apte à prendre la tête d’un mouvement de recherches ou de réalisations, aille par la suite se consacrer à la science pure ou à l’industrie, peu importe ; l’Université aura de toute manière créé une force, et mis debout un individu utile à la nation. Nous lui demandons qu’étant donné la diminution numérique de ses étudiants, elle s’attache plus que jamais à distinguer et à fortifier les aptitudes originales, qu’elle considère les jeunes talents comme un bien national précieux entre tous, qu’elle leur permette par des facilités de toute sorte (diplômes, bourses, situations d’attente) de se développer, qu’elle les distribue entre les fonctions (de science pure ou d’applications) où ils puissent donner leur rendement maximum, qu’elle tâche enfin par tous les moyens d’attirer et de retenir une forte élite de jeunes travailleurs.

Tout ce problème est d’une importance telle que je n’ai pas le droit de taire ce qui m’inquiète après que j’ai causé avec les maîtres de la science. Il ne suffirait pas de combler les pertes de la guerre. Avant 1914, les maîtres réputés qui travaillent ou professent dans nos grands instituts de recherche et dans notre enseignement supérieur étaient déjà insuffisamment secondés et suivis. Ils nous le disent, voilà longtemps que le personnel réduit dont ils forment le haut état-major ne répond plus, ni par le nombre, ni par le zèle, aux exigences de l’œuvre scientifique... Alors vous voyez bien que, de tous nos efforts, il faut préparer systématiquement des lendemains plus favorables et plus abondants.

Pourquoi ne pas créer dans le grand public le préjugé que la vocation des hautes études est noble ? Il n’y a rien dont, pour ma part, je sois plus persuadé. Et les circonstances semblent favorables à cette vue pratique. La valeur attribuée naguère à la supériorité de naissance est passée à l’argent, qui, lui-même, est bien incertain de son lendemain. Les privilégiés d’hier mis en péril par l’évolution générale entrevoient de retomber dans la masse. Et cependant, élevés dans le sentiment d’une supériorité qu’il s’agit maintenant de justifier de nouveau, ils prendraient mal leur parti de ne compter que comme le premier venu. On leur conseille de se jeter dans la bataille de la vie et