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L’espèce d’indifférence et de gaspillage qu’à l’exemple de la nature notre pays pratiquait dans la formation de ses cadres intellectuels, dans l’œuvre d’avancement des sciences et dans la culture des hautes et rares vertus de l’esprit, nous comprenons bien, n’est-ce pas, qu’à partir d’aujourd’hui elle nous est interdite. Toutes les jeunes forces françaises doivent être distinguées, guidées, employées. Après ces coupes sombres, l’éducation appropriée de l’élite et l’organisation du travail scientifique deviennent des devoirs urgents.

Ces étudiants qui survivent en petit nombre, reviennent en outre avec de graves gênes. Tels d’entre eux sont restés cinq ans, six ans, sept ans sous les armes. Qu’est devenue leur préparation technique ? Dans un âge déjà un peu avancé et quand l’esprit a été mûri par des épreuves surhumaines, comment se remettre à un apprentissage, avec tout ce que cela suppose de démarches élémentaires ? En pleine mêlée, dans les conjonctures les plus tragiques, ils ont pris des habitudes de mouvement et de décision, un besoin de résultats, bref le goût de l’action. Se résoudront-ils à l’ingrate lenteur d’une carrière d’investigation ? La France veut se loger, se vêtir, se nourrir ; des régions entières sont dans une détresse que l’imagination a peine à concevoir ; l’œuvre de production est à porter au maximum : l’industrie réclame des cerveaux et des bras. Elle est prête à rétribuer largement tous les concours. Ces combattants d’hier, chez qui la vie du front a développé quelque chose de foncièrement réaliste, ne seront-ils pas enclins à entendre des appels qui leur ouvrent des voies rapides et sûres ? Que deviendra l’effort à échéance lointaine, l’effort du laboratoire ?

Ce n’est vraiment pas le moment d’ajouter par d’excessives exigences aux obstacles de toute nature dressés contre les vocations scientifiques. Il faut aplanir la voie devant les jeunes hommes qu’anime la passion du vrai, et faire en sorte que la science ne leur soit pas une marâtre. L’Allemagne n’a pas subi d’aussi effroyables pertes dans son élite. Et pourtant elle multiplie déjà les efforts pour engager dans la carrière de recherches les esprits les mieux doués. Elle a éprouvé que science signifie de nos jours puissance et fortune ; elle se rend compte que, vainqueur ou vaincu, le peuple qui occupera dans vingt ans le premier rang sera celui dont les laboratoires auront porté