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préparateur au Collège de France qui, ancien combattant et chef de famille, se contente d’une rémunération misérable pour se vouer à la science, alors que de magnifiques situations lui sont offertes par l’industrie. J’ai cité le fait d’un professeur du Muséum heureux de recevoir d’un particulier des subventions annuelles pour rétribuer son étaleuse de papillons. Nos grands instituts de recherche réclament d’urgence des réformes. Mais je ne reviens pas sur les parties déjà traitées d’un immense sujet qu’il faut nécessairement sérier, et je me propose ici, Monsieur le Ministre, de vous exposer le manque d’organisation qu’il y a dans l’Université, quant au travail de l’investigation scientifique.

Ce n’est pas d’aujourd’hui, la plainte que je vous apporte ! Déjà Renan, Pasteur, et combien d’autres maîtres illustres ! ont déploré que l’Université délaissât le développement des sciences. La raison de cette faute, ils l’ont signalée. C’est que l’Université, ayant à former des étudiants et à leur distribuer la haute culture, subordonne nettement sa mission de recherche scientifique à sa mission d’enseignement.

Grande difficulté ! On exige du savant qu’il soit un professeur. Or certains esprits génialement doués pour l’investigation n’ont aucun don pédagogique, tandis qu’en revanche d’excellents professeurs sont tout à fait inhabiles à concevoir ces idées neuves et fécondes que l’expérience a pour but de transformer en une interprétation a posteriori des choses.

Que de savants ont souffert de cette pénible situation où les met une erreur fondamentale de l’Etat ! Ils ont été assujettis à des enseignements parfois élémentaires, sans y trouver la liberté et les moyens nécessaires à la recherche. « Les hommes qui ont le pressentiment des vérités nouvelles sont rares, » disait Claude Bernard. Et ces hommes rares, eussent-ils d’ailleurs le don pédagogique, on sera sage de les laisser à leur mission supérieure, qui est de développer les connaissances humaines. J’ai rappelé déjà le cas si tristement significatif de Pierre Curie. Avant lui Pasteur, excédé de soucis professoraux, s’était plaint amèrement des usages universitaires qui relèguent au dernier rang la recherche scientifique. Il y a une opposition permanente entre l’enseignement et l’investigation. Et de fait, le laboratoire est sacrifié à la chaire professorale. Eh bien cet antagonisme, il faut que l’Université le résolve ; il faut