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romans de L’Empreinte et du Ferment : c’est aussi le problème de l’idéalisme et de sa bonne santé si rare. Les idées sont extrêmement délicates, souvent malades et alors dangereuses. Notre société, soumise au gouvernement des idées, prend leurs maladies. Et concluez, si le cœur vous en dit !

Les romans de M. Estaunié, depuis Un simple et « Bonne dame, » se sont enrichis d’une pensée ardente et brûlante. L’anecdote empruntée à la vie ordinaire devient une pathétique aventure dans laquelle se trouvent engagées les conditions mêmes de la vie individuelle et sociale. Ce n’est plus le baccalauréat du petit Deschantres qui nous importe, ni de savoir comment la bonne Dame souffrira que sa fille appelle « maman » la belle-mère : il s’agit d’une autre angoisse et de l’immense péril où risquent leur survie et leur durée notre époque et cet arrangement précieux, lente acquisition des siècles et leur chef-d’œuvre imparfait, la civilisation. Car tout se détraque, si la transmission des doctrines est faussée, si les croyances qui ont été des disciplines et les philosophies destinées à organiser l’ordre social tournent vite à l’absurdité.

En même temps que des romans comme L’Empreinte et Le Ferment gagnent, de leurs grands sujets, une poignante beauté, les personnages dont l’histoire y est contée sont plus vivants et attrayants. Le drame où ils font leur partie excite en eux une nouvelle intensité de passion. L’auteur ne les a point sacrifiés à l’idéologie que remuent ses livres ; mais il a incarné en eux les idées. Son propos n’était pas une controverse d’idées : il montrait comment les idées, parmi les hommes et par eux, deviennent, — du mysticisme et de la révolution ? — des mystiques et des révolutionnaires. Il n’allait point à rendre ses personnages abstraits, mais à rendre concrètes des idées.

Depuis Le Ferment jusqu’à La Vie secrète, l’intervalle est de dix années : je n’oublie pas L’Epave ; mais L’Épave n’est qu’un épisode, une première esquisse de La Vie secrète.

Avec son air guindé, son air d’austérité revêche, un Terburg dénué de sourire peint les grâces galantes, les émois de l’amour, le trouble furtif des aveux et l’imprudence du plaisir. A-t-il vécu selon l’une ou l’autre philosophie, celle que fait imaginer sa mine puritaine, ou celle que fait imaginer sa peinture voluptueuse ? Il a mené probablement deux existences, l’une que le monde a vue, et l’autre qui était cachée. L’hypocrite ? — Non pas ! Ou bien l’hypocrisie de Terburg est l’hypocrisie universelle : toute âme a une vie secrète, et qui peut être pire ou meilleure que sa vie évidente, et qui n’a presque pas d’analogie