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Gradoine s’aperçut que Julien, plus fort que lui, était un anarchiste plus efficace.

Les penseurs de gauche et d’extrême-gauche, à qui L’Empreinte fit tant de plaisir, Le Ferment les désola. Tant pis pour eux ! Et l’on est à constater que l’auteur de ces deux romans n’était pas un homme de parti, l’un de ces théoriciens prompts à la besogne qui croient tout sauvé si le parti est au pouvoir.

Gérard Dow, un des petits maîtres hollandais que l’auteur de L’Empreinte et du Ferment venait d’étudier, avait été l’élève de Rembrandt : Gérard Dow, si étonnamment dépourvu de génie, et si adroit, si malin, si méticuleux. Mais oui ! « Ce myope sort de l’école du prodigieux visionnaire. Durant trois ans, on lui apprit l’art du clair-obscur, la mise en relief du trait, l’étude du caractère d’après l’extérieur de l’être. Puis, ayant vu peindre le Syndicat des Drapiers, il tartina des maraîchères poupines et monochromes, des épiceries nettoyées comme des palais, et obstinément s’épuisa à décrire une jolie fille à joues rondes qui, toujours attifée de la même façon, pleure sa mère expirante ou rattache une volaille au garde-manger ! » Mauvais élève ? Excellent élève, au contraire, et le type de l’excellent élève ! Seulement, Gérard Dow n’a jamais cessé d’être un élève et d’appliquer des procédés : il ne les appliquait à rien, par malheur, n’ayant quasi rien du tout qui fût à lui.

Ce n’est pas à dénigrer l’éducation des Jésuites et puis l’éducation de l’État que sont dédiés les deux romans de M. Estaunié, mais à poser, je ne dis point à résoudre, le problème de l’enseignement. Un do mes amis a quitté l’enseignement, un beau jour. Et il disait : — J’avais deux sortes d’élèves. Les uns, sur lesquels je n’avais aucune influence : ils ne m’intéressaient pas. Les autres, sur lesquels j’avais trop d’influence : ils me faisaient peur !

Et c’est une terrible chose, en effet, l’influence qu’on a, d’une âme à une âme. Il faut avoir une extraordinaire certitude et la confiance déposséder l’indiscutable vérité. Puis, il faut croire que les idées, en passant d’une âme à une âme, ne se dénaturent pas et, calmes chez vous, ne vont pas se mettre à flamber dans une autre âme. Heureux Rembrandt, avec son bon élève de Gérard Dow ! Celui-là n’était pas alarmant ; celui-là ne faisait qu’appauvrir et dessécher la leçon. Mais, pour un Gérard Dow, niais et de tout repos, combien n’y a-t-il pas d’inquiétants disciples qui, d’un évangile raisonnable, font un conseil de mysticisme intempérant, de frénésie voleuse ou meurtrière ! C’est le problème de l’éducation que traite M. Estaunié, dans ses deux