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Il y a, au musée de La Haye, le portrait de Terburg ; un visage long, le nez droit, la bouche grande et sans lèvres, le menton fort et d’une seule pièce, la physionomie glaciale : un puritain. « Profil et maintien de prédicant, silhouette raidie et prétentieuse d’homme de robe… Point de gaieté ni de charme… La bouche ne parle pas. Le regard n’interroge pas. Le personnage pourrait être un reclus de Port-Royal, un pasteur Gomariste, ou un conseiller au Parlement : c’est Terburg ! Et voici que devant ce portrait, je me rappelle, stupéfait, l’œuvre délicieuse du peintre, toute en attraits mystérieux, en grâces déjà minaudières. » L’œuvre ne ressemble pas au peintre et lui ressemble si peu qu’on vient à se demander si le portrait de La Haye ne trahit pas le modèle. Mais voilà résoudre la difficulté trop aisément. Nous avons ce témoignage et croyons que tels furent le visage austère et le maintien très guindé de ce Terburg. Alors ? « La Hollande intolérante et puritaine, qui était la Hollande de son temps, a pu jeter sur son épaule le manteau noir qui l’assombrit. Quoi qu’on veuille, son âme n’est point là. » Où est son âme ? Dans son œuvre. Ainsi Terburg, tel que l’ont vu et l’ont connu ses contemporains, ses camarades et peut-être ses amis, ne ressemblait point à son œuvre, laquelle dut ressembler à son âme. Les gens ne ressemblent point à leurs âmes ; et leur vie apparente n’est point l’image de leur vie intime et profonde. Cette remarque est un avertissement précieux pour le romancier réaliste : s’il l’a bien entendue, il se méfiera des apparences. Et, une quinzaine d’années après la publication des Petits maîtres, où elle est notée d’abord, elle animera toute la philosophie du livre le plus singulier de M. Estaunié, le roman de La vie secrète.

En regardant les réalistes hollandais, l’auteur des Petits maîtres s’est aperçu de l’impossibilité où l’on est de comprendre et de juger un tableau par les seuls procédés de la science. Or, à cette époque, il y a une trentaine d’années, on crut que la science offrait la clef, le passe-partout, de la critique. Émile Hennequin venait de publier sa théorie de la Critique scientifique et deux essais d’application, sur les « écrivains francisés » qui étaient à la mode, les Russes principalement, et sur « quelques écrivains français, » Victor Hugo, Gustave Flaubert, Zola, les Goncourt, Huysmans et d’autres. « Non, la critique n’est pas et ne peut être une science, » répond M. Estaunié, qui est un homme de science, qui restera un homme de science et qui seulement ne veut pas embrouiller toutes choses. L’œuvre d’art ne relève pas de la science. Et, comme on a vu l’auteur des Petits maîtres considérer que l’œuvre d’art et l’âme de l’artiste sont toutes proches