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Dans les deux romans, la péripétie est extrêmement peu compliquée. Il n’y a guère d’incidents que médiocres et vulgaires : ce n’est pas là ce qui intéresse le lecteur, mais la souffrance des personnages qu’il a fallu qui fussent très charmants pour gagner notre amitié plutôt que notre curiosité. L’auteur a su nous attacher à eux : lorsque le petit Deschantres va passer son baccalauréat, nous redoutons vivement son échec ; et nous accompagnons avec chagrin la bonne Dame qui, ayant tout donné à sa fille ingrate, se retire dans un asile de vieillards. Cependant, nous n’évitons pas de nous apercevoir que la peinture de la vie terne et ennuyeuse, même délicatement faite, ennuie un peu. L’auteur aussi s’en est aperçu. La seconde partie d’Un simple n’est pas simple comme la première : le drame caché se déclare et aboutit à des scènes violentes ; un suicide est le dénouement. Peut-être M. Estaunié n’approuvait-il plus ce dénouement dès l’année suivante : sa bonne Dame finit mieux que son petit Deschantres et le roman garde jusqu’à la fin la même couleur grise ou, du moins, tâche de la garder. Quelquefois, l’auteur a manqué de très subtile habileté. Au moment où la bonne Dame, ayant marié sa fille, devient jalouse de son gendre et jalouse de l’autre belle-mère, elle crie beaucoup trop fort. C’est difficile de peindre gris sur gris : l’auteur a mis du noir et, par endroits, du rouge un peu désagréable, dans ces deux livres de ses débuts et qui ont pourtant de jolies qualités, une intention plus exquise que la réussite.

Il semble que M. Estaunié ne fût satisfait ni d’Un simple ni de Bonne Dame, et qu’il ne voulût pas continuer ainsi. Après « Bonne Dame, » il ne publiera de roman que quatre ans plus tard, et un roman bien différent, L’Empreinte. Dans l’intervalle, il est allé prendre conseil de ces réalistes parfaits, et amusants, les peintres hollandais. Le petit volume qu’il a consacré à Brauwer, à Terburg, à Gérard Dow, à Pieter de Hooch, à Van der Meer, est délicieux d’intelligence et de sensibilité ; puis on y voit comment un romancier peut consulter les peintres sur un art qui est le leur et qui est le sien, l’art d’interpréter la réalité. Il ne suffit pas de la copier ; il ne convient pas de l’embellir au moyen de faux ornements : il faut découvrir et montrer l’âme qui est en elle.

Et, tandis que M. Estaunié regardait avec soin les petits maîtres De Hollande, il inventait pour son usage plusieurs des idées qu’il n’était pas encore tout prêt à utiliser, mais qui plus tard, et des années plus tard, lui revenant à l’esprit, seront la substance nouvelle de ses romans.