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la conscience, » à « vendre son âme pour des objets politiques, » à faire de la nation « une idole et un fétiche ? » Ou restera l-elle fidèle à sa vocation de mère des religions et des philosophies ? Les grandeurs de chair passent et les empires croulent. L’Asie est l’aînée de l’Europe et n’a que faire des conseils de sa cadette, de ses poisons et de ses alcools. Elle a eu autrefois ses âges de splendeur, et elle peut patiemment en attendre le retour. Qu’est-ce qu’un sommeil de deux mille ans dans le cours indéfini de la conscience humaine ? Peut-être assistons-nous, dans les convulsions de notre siècle, au crépuscule de l’Europe ; quel ne sera pas alors le rôle de l’Orient, berceau de la pensée humaine, à condition de ne pas trahir sa mission immortelle, qui est d’enseigner au monde le renoncement et la tendresse ? Que reste-t-il, au bout de peu d’années, des royaumes de la terre ? Le grand vainqueur du monde, ce n’est pas Alexandre, c’est Çakia-Mouni.

On reconnaît là des idées qui nous sont familières, des leçons de spiritualisme qui sont le fonds commun de la pensée mystique. Cet idéal de paix et de bonheur intime, produit de l’amour de Dieu et de l’amour d’autrui, n’ont rien de nouveau pour des oreilles chrétiennes. Nous connaissons la voix qui a dit : « Mon royaume n’est pas de ce monde, » et qui a dit encore à la sœur de Marie : « Marthe, Marthe, pourquoi te tourmenter de tant de choses ? Une seule est nécessaire. Marie a pris la meilleure part, elle ne lui sera point ôtée. » Depuis des siècles, il y a chez les hommes d’Occident une race éternelle qu’attire la vie contemplative.

Périodiquement, on ne sait quel atavisme lointain nous remémore la magie de l’âme orientale : un souffle de détente, le dégoût de l’énergie, l’assoupissement des passions, l’extinction du désir. N’est-ce pas la raison de la vogue de Tolstoï ? Et même, en plein essor de l’impérialisme allemand, la dernière pensée du musicien de Parsifal se tournait, on le sait, vers une démission complète et une abdication de la volonté, vers un idéal de délivrance et d’anéantissement qui devait faire le sujet de son opéra des Brahmanes.

Il est vrai. Il est vrai aussi que ces idées, dans le monde présent, semblent peu populaires. Tagore a eu le courage d’annoncer son « message » au Japon. On ne voit pas qu’il y ait en grand succès. Sera-t-il mieux écouté aux Indes ? L’avenir le