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ses idées, qu’il est allé prêcher dans les Indes tout entières, ainsi qu’en Angleterre, en Amérique et au Japon. Aux approches de la soixantaine, le vieux maître déploie une jeunesse et une activité nouvelles pour faire entendre au monde, qui l’avait oubliée, la parole de l’Asie. On a vu à Tokio, à New-York et à Londres la bure voyageuse et la barbe grisonnante du majestueux maharishi, ses belles boucles séparées sur le front par une raie et cette expression d’amour qui lui donne, dit-on, la ressemblance du Christ, si bien que plusieurs, dans un pays qui n’a pas cessé de croire aux existences successives, le prennent, assure son biographe M. Ernest Rhys, pour une réincarnation de Jésus.

On comprendra donc après cela qu’un livre de Tagore ait paru mériter un moment d’attention. A la vérité, je doute un peu que ce roman, le Monde et la maison, qui est aussi bien le premier qu’on signale de lui, retrouve chez nous le succès quasi vertigineux qui vient de l’accueillir dans son pays d’origine, où l’on dit que le livre s’est vendu à un nombre tout à fait fabuleux d’éditions, qui se chiffrait en quelques mois par millions d’exemplaires. Ce petit volume a des chances de nous toucher beaucoup moins. Non pas que l’intérêt n’en soit vif, même pour nous. De moins en moins ce qui est humain peut nous demeurer étranger. Tous ces nationalismes qui s’agitent à la surface de la terre, aux Indes, en Egypte, en Chine, au Japon, sont des choses auxquelles nul témoin n’a le droit de rester indifférent. Nul ne sait de quelle manière ces forces inconnues transformeront le monde. El c’est précisément le sujet du nouveau livre de Tagore. Son roman est une suite ou une illustration de son précédent recueil de discours sur le Nationalisme, et en particulier du dernier de ces discours, sur le nationalisme hindou. L’auteur s’est borné à en mettre les idées en action. De sorte que son livre, en même temps qu’une délicate et émouvante histoire, est surtout une leçon à l’adresse de son peuple et une manière d’épitre ou de sermon aux peuples d’Occident, qu’égare le vertige du nationalisme.

Et tout cela, on le voit, ne laisse pas d’être en soi fort curieux et fort instructif. Cette vie et cette âme hindoues d’aujourd’hui, que nous ne soupçonnions guère que par l’auteur de Kim et du Livre de la Jungle, il valait bien la peine de les connaître par un témoignage plus intime. Et tout ce que Tagore nous laisse entrevoir de ce sujet constitue, en effet, pour nous la part