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1918, répandait sur les troupes de Gouraud un soleil d’apothéose, — le général Humbert s’avance vers l’Université à la tête de la garnison. Humbert, c’est encore un de ces grands chefs vainqueurs qui sont ici l’objet d’un culte attendri : car hier Gouraud ne quittait Strasbourg qu’au milieu d’un concert d’enthousiastes amitiés et de regrets éclatants. Uno avidso, non deficit alter aureus : Strasbourg a vu un autre héros de la Grande Guerre apparaître ici et l’acclame. Un large salut de l’épée au perron. Là, autour du Président, des ministres, des maréchaux, la masse des toges multicolores, des habits de l’Institut, des étudiants à bérets, des bannières d’universités : le spectacle pour la rue est admirable. L’armée rentrée salue la science rentrée.

Ce ne sont plus les soldats que j’ai vus l’an passé, défilant le casque encore bossue et les vêtements usés par cent combats ; mais pour ceux qui, pour la première fois, — et ils sont nombreux, — voient des troupes françaises s’avancer de la ci-devant « « place de l’Empereur » vers la ci-devant « « Université Empereur-Guillaume, » l’émotion est celle qui, le 22 novembre 1918, mouillait nos yeux et faisait éclater nos cœurs. Comme sur le passage des maréchaux, les toques se levaient devant les soldats bleus avec une sorte de respect cordial. Une immense fraternité unissait les cœurs, du perron où trônaient les professeurs au pavé que foulaient allègrement les derniers bleuets de la Grande Guerre. Et une fois de plus s’affirme le caractère de la journée. Tout à l’heure Millerand le dégagera en son style ferme et sans ambages : « En choisissant cet anniversaire pour la reprise solennelle de ses travaux, l’Université de Strasbourg n’a pas entendu seulement manifester sa reconnaissance aux artisans de sa libération dont je salue dans les maréchaux de France les représentants glorieux. Elle a voulu, dans ce pays que le militarisme prussien a, quarante-huit ans, opprimé, à quelques lieues de Saverne, signifier la nécessité de l’accord entre les hommes de la pensée dont l’existence est consacrée au culte de la vérité et les hommes d’action qui ont voué leur vie à la défense de la patrie... » Et dans un rapprochement que saluaient les applaudissements des convives du banquet, il ajoutait : « La Cité dont les statues de Gutenberg et de Kléber ornent les deux places principales n’était-elle pas toute désignée pour faire entendre cette leçon ? »