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pu, comme un Keller au Parlement, un Erckmann dans la littérature, un Henner dans le monde des arts, mille autres dans vingt milieux, rester en France un des témoins de l’Alsace, un de ceux qui, par leur seule présence d’exilés, protestaient, et, protestant, empêchaient les protestations françaises de s’endormir. Un Ehrmann, — et ce jeune homme s’appelle légion, — a, en se cantonnant dans son devoir alsacien, été, lui, un autre témoin, le témoin de la race et le défenseur du patrimoine entre Rhin et Vosges, et tandis que nous protestions, — condition nécessaire, — lui, maintenait, — autre condition nécessaire.

Aujourd’hui Ehrmann s’appelle Bucher, à moins que Bucher ne se soit autrefois appelé Ehrmann. Tout le monde connaît maintenant le docteur Bucher. Ceux qui, au banquet du 22 novembre dernier, ont entendu le toast de M. Millerand, savent à quelle valeur sont prisés par un politique éminemment réaliste les services rendus avant, pendant et après la guerre par cet esprit à la fois si souple et si puissant, servi par tant de séductions, par ce personnage singulier et prenant que j’ai présenté naguère aux lecteurs de la Revue sous un voile mystérieux, encore que transparent.

Bucher parlait au nom des étudiants alsaciens qui subirent les Herren Professoren et les durent digérer ad majorem Galliae gloriam. Ces Celtes aujourd’hui éclatent de joie : familiers avec la demeure où nous pénétrions, ils nous y guident avec une triomphante allégresse. Cantonnés dans leur cercle, ils constituaient, en cette Université de Strasbourg, un bataillon toujours sur la défensive, — sauf quand, ainsi qu’aux Variétés, ils se ruaient, avec une terrible fureur, contre l’étudiant Masure, Vandale, Suève ou Teuton. C’est aux tout derniers de ces étudiants récalcitrants que Sa Magnificence le Prorecteur Rahm adressait en 1912 cette admonestation : « Depuis quelque temps, nous remarquons que vous ne venez pas à nous dans un esprit libre d’arrière-pensées. Notre devoir est de vous mettre en garde contre les dangers auxquels vous vous exposeriez en regardant du côté des Vosges et en vous laissant aller à des illusions qui ne deviendront jamais des réalités. » — Admirable témoignage du danger pour un Prorecteur d’être trop affirmatif et des craintes qu’inspirait, plus encore en 1912 qu’en 1902, la jeunesse alsacienne à l’usurpateur.