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grands. Qui dira la formidable ovation dont les trois maréchaux furent l’objet ? Sur leur passage, les toques des professeurs se soulevaient bien haut, — hommage très noblement rendu de la science émancipatrice aux armes libératrices. Mais tout à l’heure, ces illustres soldats donneront le signal des applaudissements quand sera saluée la Science française rentrant chez elle. Et tout à l’heure encore, le recteur associera en un même regret deux illustres absents : le général Gouraud et le maître Ernest Lavisse.


C’est une belle mission que de représenter, en ce 22 novembre 1919, l’Université de Strasbourg ; mon confrère Charlély, hier professeur à l’Université de Lyon, après avoir écrit de belles pages d’histoire, en vit une à cette heure, incomparable. Je suppose que ce savant encore jeune est assez indifférent au prestigieux costume dont Napoléon a drapé les recteurs de ses Académies, et qu’il n’est point grisé par tant de soie et de dentelles, mais il aurait le droit d’être enivré du rôle qui lui est en ce moment dévolu : c’est lui qui, au nom de ces cent soixante maîtres des Facultés de Strasbourg, salue le chef de l’Etat. Il le fait avec une belle dignité, un peu froide : un recteur, — suivi des quatre Facultés, — ne saurait faire caracoler ses sentiments. Mais il évoque dans un beau style d’historien les heures de la vieille Université de Strasbourg d’avant 1789, dont l’attraction s’exerçait sur les deux rives du Rhin, puisque l’on vit, notamment, dans les dernières années du XVIIIe siècle, venir s’y asseoir le jeune Wolfgang Gœthe et le jeune Napoléon Bonaparte.

Tout le monde n’avait point, en regardant se lever, sous sa toge jaune, Christian Pfister, les sentiments tumultueux que j’éprouvais et dont nos lecteurs connaissent la raison. Et cependant, lorsque l’historien alsacien s’avança, les milliers d’étudiants qui cernaient en quelque sorte l’assistance lui firent une telle ovation, que la salle fut immédiatement prévenue qu’à cette minute, une nouvelle revanche s’affirmait.

Voilà déjà huit mois que Pfister groupe autour de sa chaire les étudiants d’Alsace ; ils ont reconnu en lui un des plus beaux représentants de l’âme alsacienne. Mais depuis trente ans qu’il professe à Nancy, puis à Paris, pas un des élèves qui ne sache qu’un cœur admirable domine tant de remarquables