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Le palais universitaire relève de ce style où les Allemands, recherchant la grandeur, n’ont jamais pu atteindre que le colossal. Au centre du bâtiment, la cour appuie sur des colonnes massives, écrasantes, un toit de verre qui, avec de grandes prétentions au vitrail moyen-âgeux, n’est arrivé qu’à réaliser l’idéal d’une somptueuse brasserie.

Mais lorsque, le 22 novembre dernier, je pénétrai en cette cour, je crus, — ainsi qu’il m’est tant de fois arrivé depuis un an, — faire un invraisemblable rêve. On avait dissimulé la verrière germanique sous un velum de soie bleu de France que semaient d’une constellation d’étoiles les lampes électriques, et les murs cyclopéens disparaissaient sous l’admirable suite des Gobelins envoyés de Paris, les Victoires de Louis XIV, qui, on le pense, enlevaient à la ci-devant Université Empereur-Guillaume tout son caractère tintamarresque. Et j’admirai comment quelques tapisseries de France suffisent, qu’on me passe l’expression, à débochiser une architecture.

Le décor se complétait de la chatoyante assemblée qui, en attendant l’arrivée du Président de la République, s’y trouvait réunie. Nos toges universitaires sont individuellement, si j’ose dire, criardes et presque désobligeantes. Lorsqu’elles se groupent en un ensemble imposant, leurs couleurs, loin de se heurter, se fondent à merveille : que les lettres soient jaunes, le droit vermillon, la médecine écarlate, les sciences grenat, la théologie violette, qui nous expliquera pourquoi ? Mais il n’importe : ces robes multicolores faisaient un admirable effet. Au surplus, c’étaient celles qu’avaient, avant 1870, portées dans les cérémonies universitaires de Strasbourg Pasteur, Janet, Fustel de Coulanges, et Strasbourg les attendait en ce jour comme on attendait, — le 22 novembre 1918, — le pantalon rouge... qu’on ne vit point.

On le vit l’autre jour, ne fut-ce que sur le maréchal Joffre, encore que celui-ci fût pris dans le groupe des habits verts de notre Institut. Pour le reste, l’habit horizon foisonnait. On s’est, aussi bien, non seulement habitué à « ces habits bleus par la victoire usés, » mais pris d’amour pour eux, car ils sont entre Rhin et Vosges très manifestement chéris. Ils évoquent les heures de la libération. On entend qu’ils soient de toutes les fêtes ; ils étaient de celle-là. La salle ne regorgeait point seulement de professeurs, mais aussi de soldats, — et des plus