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ils embrasseront, dans toute la complexité de son mécanisme, la vie économique de l’Empire allemand.

« Le problème que nous avons entrepris de résoudre n’est pas seulement allemand, il est mondial. Ce n’est point par des accords politiques plus ou moins fragiles que les nations parviendront à s’entendre : c’est par des rapprochements opérés sur le terrain économique, sur le terrain des entreprises de production et des organisations de travail. Ainsi seulement nous éviterons la guerre et la révolution, double danger, qui, à des degrés différents, menace tous les États du monde.

« Retenez notre principe : je le crois fécond. Votre Montesquieu a eu cette idée de génie : la séparation des pouvoirs dans l’Etat. Nous voulons, nous, séparer, émanciper l’économie de la politique. C’est le seul moyen de subordonner à la politique, qui divise les peuples, l’économie qui les unit. »

A ce moment, un vieillard s’approche de la table où nous causons : c’est le professeur Quidde, député à l’Assemblée et chef du parti pacifiste. M. Sinzheimer me nomme au professeur, qui se dit heureux de rencontrer un journaliste français. « Je suis encore venu en France, — poursuit-il d’une voix trainante et un peu mélancolique, — durant l’été de 1914. J’ai fait alors à Lyon une conférence sur le rapprochement franco-allemand, et mes idées avaient été bien accueillies... Je n’ai pas perdu courage, et je vais me rendre à Berne, pour présider le congrès pacifiste international qui doit s’ouvrir le 30 août.

Il me manquait encore d’avoir interviewé une députée. L’occasion m’en est offerte, sans que je l’aie cherchée, par Mme Elisabeth Brönner, journaliste, et députée de Kœnigsberg. Mme Brönner vient à moi : un député, appartenant comme elle à la fraction démocrate, fait les présentations. « Monsieur, dit-elle avec l’accent d’une réelle émotion et, bientôt après, des larmes dans les yeux, je représente ici un district de la Prusse orientale ; nous sommes Allemands, de race, de tradition, de culture. Pour rien au monde, nous ne consentirons à devenir Polonais. » Et elle met dans ce dernier mot tout le mépris qu’elle ressent pour la race que ses compatriotes ont si longtemps opprimée. J’écoute un instant le plaidoyer très violent de Mme Brönner, et ne croyant pas devoir en entendre plus long, prends congé d’elle un peu brusquement, en la priant de m’envoyer à Berlin, où je rentrerai demain soir, les documents