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des dehors analogues son extraordinaire timidité. Mais bientôt M. Müller se départ de son attitude, et parle naturellement. La question des prisonniers de guerre lui tient au cœur. Il va recevoir tout à l’heure une députation de femmes, venues de toutes les régions d’Allemagne pour réclamer l’intervention énergique du gouvernement. « « Que craignez-vous ? — me dit-il. — Vous qui êtes depuis quelque temps en Allemagne, ne constatez-vous pas que nous sommes hors d’état de former une nouvelle armée ? Nous hésitons à croire que c’est dans notre intérêt, et pour prévenir le danger d’une révolution, que vous conservez chez vous huit cent mille Allemands. Mais, dans cette hypothèse, vous auriez fait un mauvais calcul. Car, au contraire, le retard apporté au renvoi de nos prisonniers exaspère le peuple allemand. Les agitateurs de droite et de gauche lui persuadent que le gouvernement n’a pas fait le nécessaire pour hâter un retour si impatiemment attendu, ou même qu’il a agi secrètement auprès de l’Entente pour que les prisonniers ne lui fussent rendus que plus tard. Vous mettez aux mains des deux oppositions, celle des réactionnaires et celle des indépendants, une arme terrible contre nous. »

Je rappelle à M. Müller que Noske lui-même a avoué la présence de quatre cent mille Allemands sous les armes, qu’il y en a probablement davantage, et que la France ne disposera bientôt plus d’effectifs aussi nombreux. « « Enfin, — me demande le ministre, — que craignez-vous le plus : une restauration, ou le bolchévisme en Allemagne ? — Nous craignons le plus, — dis-je, — ce qui nous parait être le plus imminent, le bolchévisme, et nous ne souhaitons pas qu’ayant triomphé chez vous, il puise dans sa victoire des forces nouvelles pour de nouvelles conquêtes. C’est même parce que nous craignons la contagion bolchéviste, que nous n’envisageons point sans appréhension l’arrivée en France de travailleurs allemands volontaires, dont la majorité est socialiste-indépendante, ou même communiste, si l’on en juge par le mémoire qu’ils ont fait remettre au gouvernement, et où, après avoir exposé les détails de leur organisation, ils énumèrent leurs exigences.

— « Oh ! répond M. Hermann Müller, je présume bien que vous liez ensemble les deux questions : celle du renvoi des prisonniers et celle de l’envoi des travailleurs volontaires. Mais ces derniers se trouveront cantonnés dans les régions à reconstruire.