Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 55.djvu/187

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est sur cette impression de doute et de défiance dans l’avenir que je quitte M. Heinze et le « théâtre législatif. » La phrase curieuse murmurée tout à l’heure par mon voisin de tribune, un bourgeois de Weimar, me revient brusquement à la mémoire : « Ceux de quarante-huit, à Francfort, délibéraient dans une église ; ceux d’aujourd’hui, chez nous, se disputent dans un théâtre. »

La nuit est tombée. Je m’achemine, pour diner, vers le Goldner Adler, l’Aigle d’Or, restaurant d’ancienne renommée. Je trouve les salles déjà encombrées par toute une jeunesse bruyante et joyeuse. Des « chambres séparées » « cabinets particuliers) qui ne sont séparées de la salle commune que par un rideau, s’échappent des rires et des cris. On se croirait à Berlin : je ne savais pas que cette frénésie eût gagné la province. Derrière moi, l’inévitable orchestre serine les airs déjà populaires d’une toute récente opérette viennoise ; et le public, à tue-tête, met les paroles sur la musique. Mais vers neuf heures et demie arrivent des gens d’aspect plus grave. L’orchestre se tait ; les jeunes gens se serrent autour des tables, pour faire place aux députés, qui viennent manger un plat en sortant de la commission.


ENTREVUE AVEC M. HERMANN MÜLLER


20 août.

Je me rends à l’Assemblée de bonne heure, et je n’ai pas encore remis ma canne et mon chapeau aux mains de la dame du vestiaire, qu’on vient m’avertir que je suis attendu par M. Hermann Müller, secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères. Un huissier me conduit, par les coulisses, jusque derrière la scène, où une sorte de salon a été aménagé pour l’audience des membres du gouvernement. On introduit en même temps que moi le représentant d’un journal anglais ; le ministre nous fait asseoir tous deux en face de lui. M. Hermann Müller est encore un jeune homme ; l’œil est vif derrière le lorgnon ; l’aspect physique est celui, — international, — d’un secrétaire de syndicat ; la tenue est simple, mais correcte, un bouton de corail est piqué dans la cravate noire. Le ministre s’exprime en allemand, d’un ton bref, dont la raideur est affectée, au début. Je pense à Kerenski, qui, dans le tête-à-tête, dissimule sous