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le pont de pierre qui conduit au château : c’est la relève de la garde ; et, de Charles-Auguste, ma pensée retourne à M. Noske.

Je passe la plus grande partie de l’après-midi à l’Assemblée. La séance offre peu d’intérêt : on discute le projet de loi relatif aux pensions des officiers. Mais, dans les couloirs, j’aurai l’occasion de rencontrer des hommes de tous les partis et de m’entretenir avec eux. Le théâtre de Weimar est devenu un palais législatif en miniature. Les députés siègent à l’orchestre et au parterre ; on a installé sur le devant de la scène la tribune présidentielle, celle des orateurs et les bancs du gouvernement. Comme chez Gémier, des gradins montent de la salle à la scène. Le public prend place dans les loges et dans les galeries ; le foyer sert tout à la fois de buvette et de salle des Pas-Perdus.

M. Fehrenbach préside ; à sa gauche est assise une dame en cheveux, de forte corpulence, toute de blanc vêtue : les élections ayant envoyé trente-neuf femmes à l’Assemblée, on a appelé l’une d’elles aux fonctions de vice-présidente. MM. Erzberger, Hermann Müller, Noske et Bell sont au banc du gouvernement. Le débat me semble plus bruyant, moins ordonné qu’il ne l’était jadis au Reichstag : les interruptions sont fréquentes et confuses, parfois le tumulte des voix fait songer aux débats les plus violents d’autres Parlements. Mais peut-être n’est-ce qu’un effet de l’acoustique remarquable dont s’enorgueillit le théâtre de Weimar.

Les couloirs sont fort animés. Des femmes circulent, presque toutes en robe de toile blanche et sans chapeau : ce sont les députées et leurs secrétaires. Un paysan bavarois vêtu à l’ancienne mode de son pays, chemise blanche, gilet de soie, culotte brodée et mollets nus, fume tranquillement dans un coin sa longue pipe de porcelaine : c’est M. Eisenberger, orateur redouté, qui déconcerte l’adversaire par son bon sens narquois et une certaine manière d’appliquer de vieux proverbes à des situations nouvelles. La tenue des députés est ordinairement négligée : la plupart sont en veston de tussor ou d’alpaga. On reconnaît les ecclésiastiques à leur longue redingote, et les conservateurs prussiens à la coupe correcte de vêtements irréprochables.