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quelques amis et moi nous étions donné rendez-vous pour déjeuner. Quand nous y sommes entrés, vers une heure et demie, tout était calme ; quand nous en sommes sortis, vers dix heures du soir, la révolution était terminée. Nous achevions notre repas, lorsqu’on vint nous avertir que des émeutiers et des marins rebelles faisaient le siège du château. Bientôt nous entendîmes distinctement le bruit de la fusillade et les hurlements de la foule. Quelques balles vinrent même ricocher sur le toit, d’autres tombèrent dans la cour. Des mitrailleuses balayaient l’avenue, il ne fallait pas songer à mettre le nez dehors. Nous passâmes l’après-midi ici, attendant les événements. Vers dix heures, on nous avisa qu’on n’entendait plus rien, et que le calme paraissait rétabli. Nous sortîmes du restaurant par la porte cochère, et je rentrai chez moi tranquillement à pied, évitant seulement de passer par la Wilhelmstrasse, qui formait avec les rues adjacentes un îlot tumultueux et impénétrable, dont l’hôtel Kaiserhof marquerait à peu près le centre.

— Et les jours suivants ?

— Je suis allé tous les jours à mon bureau, au journal. Il n’y avait rien de changé aux heures de travail. Plus tard, les grèves donnèrent lieu à quelques désordres, toujours limités à certains quartiers et réprimés assez rapidement. C’est tout.

— Est-ce vraiment tout ? De plusieurs côtés, j’entends dire que la révolution n’est pas finie.

— L’hiver nous réserve peut-être des surprises. S’il n’y a pas de charbon, si les vivres sont rares, il y aura sans doute des mouvements populaires en Allemagne, comme il pourra s’en produire chez vous, en Angleterre, en Italie. Mais, au point de vue politique, le calme est revenu, sinon l’équilibre. Les fonctionnaires, les hommes d’affaires, les commerçants travaillent comme autrefois, c’est-à-dire régulièrement et le plus qu’ils peuvent. Parmi les officiers qu’on a jetés sur le pavé, les uns sont retournés à leurs terres, les autres s’efforcent de trouver une occupation, et le plus souvent y réussissent. J’ai reçu ce matin, de très bonne heure, la visite d’un ancien officier de la garde, que j’avais connu dans les endroits où l’on s’amuse. Il fait la place pour une grande maison d’ameublement et venait m’offrir ses services. Les nouveaux riches dépensent leur argent avec fureur, mais sans élégance : ils